«Qu'avons-nous produit par notre adhésion au FLN?»
Au Congrès de Brest, lorsque Lionel Jospin a lancé sa réplique désormais fameuse sur «l'expérimentation hasardeuse» , la salle a vivement applaudi. Surprise : dans le journal de la Une, ces applaudissements ont disparu alors qu'on peut les voir et les entendre dans le journal de France 2. Coupure intentionnelle? Accidentelle? «Arrêt sur images» n'allait pas rater cette occasion offerte à sa vigilance. C'est la police de la télévision, rien ne lui échappe. Par exemple sur l'information concernant l'Irak. La gracieuse Marine Jacquemin a-t-elle été manipulée quand elle a montré dans un JT les «boucliers humains» volontaires se hâtant vers le palais présidentiel? «Ça a été monté pour nous, bien sûr, dit-elle, il y a toujours de la manipulation en Irak.» CNN aussi a montré les boucliers humains, mais solidement encadrés, entourés de «chauffeurs de salle» comme il en existe dans les émissions de variété, bref d'une spontanéité pour le moins suspecte. Qui faut-il croire? Personne. C'est la seule façon de regarder les informations. Et c'est la leçon hebdomadaire d'«Arrêt sur images». Le reportage d'«Envoyé spécial» sur les médecines parallèles telles qu'elles fleurissent en Californie m'a gênée. L'enthousiasme, le ton définitif... Combien de patients, en voyant ce reportage, ont pensé qu'ils n'étaient pas soignés comme il convenait par leur médecin et ont eu envie d'essayer «autre chose»? Or, si la «médecine douce» a, en France, ses praticiens respectables, elle a aussi ses charlatans et autres arnaqueurs. Le reportage les épinglait, certes. Mais est-ce cela que le spectateur en aura retenu? Rien de moins sûr. Ç'aurait pu être superbe. Ce fut seulement un peu ennuyeux et pourtant, Alexandre le Grand, quel sujet! Tout y était, Bucéphale, les images magnifiques, les cartes pour comprendre où galopait l'Invincible, la reine des Amazones qui voulait un enfant d'Alexandre mais le conquérant n'aimait que les hommes, la fondation d'Alexandrie, le meurtre de Cletos son ami, l'échappée en Asie. Mais un commentaire sans sel, prononcé d'une voix monotone, éteignait le feu qui aurait dû jaillir de ce document (Arte). Madame se meurt, madame est morte, Bossuet, que c'est loin, exotique en un sens malgré son écriture limpide, notre contraire absolu, dit Michel Crépu. Et puis on entre dans son livre, «le Tombeau de Bossuet», et on est assez vite captivé. Il me semble qu'il aurait pu en parler mieux qu'il ne l'a fait à «Droit d'auteurs», qu'il n'a pas su «se vendre». Toute l'affaire du quiétisme, de Mme Guyon, de la querelle avec Fénelon, se lit comme un roman policier. Si l'on a un peu de curiosité pour ces choses, on sera enchanté par l'essai de Michel Crépu. On peut être pour ou contre la parité en matière d'élections, à condition de savoir de quoi l'on parle. Il ne s'agit pas d'imposer autant de femmes que d'hommes parmi les élus mais parmi les candidats. Aux électeurs de choisir. Gilles Lipovetsky, papotant sur les femmes chez Pivot, paraissait ne pas l'avoir saisi. Une qui en connaît un bout sur le machisme, c'est Nicole Notat. Il a montré son visage odieux dans les injures dont Marc Blondel vient de l'honorer. Pivot a rappelé le proverbe espagnol : «Celui qui met ses couilles sur la table risque de se les faire couper.» «Je ne souhaite pas cela à Marc Blondel», assura Nicole Notat. Voire. Sur la parité, elle est dubitative. A minuit, de temps en temps, un philosophe prend la parole en face de Laure Adler. Cette fois, c'était Paul Ricœur, tout vif à 85 ans. Partisan actif, en d'autres temps, de l'indépendance, il est fortement ému par la situation en Algérie : «Qu'avons-nous produit par notre adhésion au FLN? C'est une question qui me tourmente. Ce retournement d'un peuple contre son propre peuple...» Il est troublé, aussi, par le procès Papon. Il bute sur la distinction entre crimes contre l'humanité et crimes de guerre. «Dans le cas de l'holocauste, c'est clair... Mais dans le cas de Papon, j'ai un doute... Le devoir de mémoire oui, tu diras à tes fils", c'est le Deutéronome. Mais arrêtons la colère!» Il médite sur la vie. «La tentation la plus grande, c'est la tristesse. La complaisance à la tristesse, c'est le mal moral. Je suis gai quoique triste et triste quoique gai, et vivant jusqu'à la mort.» Est-ce bien dit? F. G. "
Jeudi, décembre 4, 1997
Le Nouvel Observateur