Pas de jérémiades ni de rancœur. Mais beaucoup d'émotion et parfois de l'humour... Quand les immigrés racontent la France
Ce sera ric-rac, disait-on. Ce fut rac, comme raclée. Voilà Jacques Chirac puni d'avoir été présomptueux. Toute personne de bon sens aurait pu lui dire qu'il jouait avec le feu, qu'il fallait liquider Juppé avant de dissoudre. Mais le bon sens est ce qu'il y a de moins partagé dans les entourages présidentiels. Bref, de gaffe en gaffe, le voilà cohabitant, diminué, affaibli, ce qui n'est pas bon pour la France dans les relations internationales. Ses partisans, estourbis, faisaient, dimanche, peine à voir. Ceux de Lionel Jospin furent parfaits. Pas de triomphalisme. Une modestie de bon aloi. Ce qui les attend n'est pas simple, et ils le savent. Quant à Lionel Jospin lui-même, cet air qu'il a d'être honnête sous toutes les coutures, austère, éventuellement raide, cet air fut son meilleur atout. Les Guignols ont complètement raté sa caricature. Les Français, eux, ne s'y sont pas trompés. Cet homme a de la force, une force. Il a fait une campagne superbe. Sera-t-il un bon Premier ministre dans une conjoncture délicate? L'espoir est permis. Et nous en avons bien besoin. Peut-on parler ici des émissions codées sans exaspérer ceux qui n'ont pas de décodeur? J'hésite toujours à le faire. Mais le sujet impose qu'on ne le passe pas sous silence. Il s'agit d'un documentaire sur les immigrés diffusé par Canal+. A première vue, rien de bien alléchant. Et puis on est pris, emporté par trois heures de film qui simplement racontent... Racontent la vie des ouvriers maghrébins de Peugeot, de Renault, du bâtiment importés dans les années 50 et 60 parce qu'on avait besoin de main-d'œuvre... En fait, ce sont eux qui parlent, eux qui racontent leur vie. Mais cela s'appelle-t-il vivre? L'auteur du documentaire, Yamina Benguigui, se garde de tout commentaire. Elle laisse la parole aux acteurs de l'histoire avec leurs mots à eux, leur mémoire encore vive. Pas de jérémiades dans tout cela, ni de rancœur. De l'émotion, parfois même de l'humour, et, de bout en bout, beaucoup de talent. «Pierre Lazareff n'était pas un génie, il était génial.» Cette formule d'Henri de Turenne, qui fit longtemps partie de l'écurie Lazareff, sonnait juste, comme toujours ce qu'il dit. Le petit homme qu'on appelait Pierrot les Bretelles et qui fut le roi de la presse populaire dans les années 50-60 n'était pas Citizen Kane. Philippe Labro fit remarquer qu'il n'avait jamais été le propriétaire de ses journaux, et cela fait une fameuse différence. Mais il fut en permanence au cœur de la vie parisienne et politique. Il disait : «De la gauche à la droite en passant par tous les centres, je n'ai jamais vu de gens plus mal informés que les gens au pouvoir.» On en a encore chaque jour la preuve. Il aimait les journaux et les femmes, que jamais son physique ingrat n'a rebutées, tant il avait de charme. On disait de lui : «Quand il aime une femme, il lui fait un journal...» Plus tard, il a aimé aussi la télévision et a inventé «Cinq Colonnes à la Une». Il a été le premier à comprendre que le petit écran allait révolutionner l'information. Le documentaire à lui consacré (Canal+), vif, alerte, bourré d'anecdotes, se terminait par cette réponse insolite : «Qu'est-ce qui vous a manqué dans la vie? ? De la tendresse.» Un mot qui ouvrait sur un abîme. Le film ne l'a pas exploré. Success story oblige. J.M.G. Le Clézio n'est pas bavard. On le dirait même taciturne. Voilà qu'à l'occasion de son dernier roman, «Poisson d'or», il s'est déboutonné devant F.O.Giesbert pendant près d'une heure. Parlant de lui, de son enfance, de sa relation avec l'écriture, avec la vie en général, il a été souvent émouvant, toujours simple, tout à fait séduisant. Il y a peu de magie chez cet ange blond (Paris-Première). Ainsi, Che Guevara n'était pas seulement un héros romantique qui voulait changer le monde, mais un homme capable de faire fusiller 400personnes d'un coup. La mort le fascinait, la sienne et celle des autres. Plus surprenant, ce que «le Sens de l'histoire» apprenait sur l'incapacité tactique et organisationnelle qui l'a conduit à l'échec, lors de son équipée au Congo et, plus tard, en Bolivie... Le document montrait de façon intéressante comment il s'est écarté de Castro après avoir échoué à créer une industrie, à Cuba. Il reste le mythe, l'archange noir qui a fait rêver une génération. Il semble que rien ne puisse le détruire. F. G.
Jeudi, juin 5, 1997
Le Nouvel Observateur