Cinquante-deux minutes ne suffisaient pas pour retracer le parcours d'Arthur Koestler, ce rebelle à tous les totalitarismes qui ne cessa de changer de pays, de langue, de bourreaux, et laissa des livres fameux
Les chaînes se sont déchaînées à propos du Festival de Cannes. Et, sur le fond, elles ont raison. Dans son genre, c'est un événement dont il est important, pour la France, qu'il garde son éclat, que la fleur du cinéma international s'y rende. Cette fois, il y avait du beau linge.Est-il bien traité avec ces éternels dialogues insipides encadrant des lambeaux de films, et ces défilés de gens sapés montant un escalier? C'est une autre histoire. FR3 a diffusé le montage d'une série d'interviews réalisées autrefois par François Chalais dans le cadre de Cannes, et on a vu tout à coup ce qu'interroger veut dire. Ce fut un régal de retrouver Bardot, Morgan, Sophia Loren, Martine Carol, Jean Gabin, sous l'oeil perçant de François Chalais. A ma connaissance, il n'y a personne aujourd'hui capable d'ouvrir avec un tel bonheur la boîte à rêves...Michel Denisot a essayé, en interrogeant Mathieu Kassovitz, pour Canal+. C'était une bonne idée. On a de la curiosité pour l'auteur de «la Haine» et pour le film qu'il présente à Cannes, «Assassin(s)». Sera-t-il à sa propre hauteur? Truffé de prises de vues du film obscures et quasiment indéchiffrables, le résultat de l'entretien fut néanmoins intéressant. Ce jeune provocateur vif et avide, qui a réuni 2 millions de spectateurs avec «la Haine», est résolu à renouveler son coup avec un sujet encore plus difficile. Michel Serrault assassin d'enfants...Que fait-il à Cannes, que fait-il dans le décor somptueux d'Eden Roc, lui, l'interprète des banlieues? «Je n'ai jamais dit que j'étais de la banlieue... Cannes, c'est le lieu où l'on vend ses films. J'y suis.» Qui admire-t-il? «Spielberg, Scorsese... Tout ce qui se fait en France est tiède...» Son ambition : essayer de garder un ?il ouvert... Donner son avis sur les choses... Mettre la barre haute... Ultime confidence : il est marxiste tendance Groucho, et votera blanc.Qu'ai-je vu encore de Cannes qui mérite d'être noté? Une image déchirante. Antonioni raide, muet, comme pétrifié, debout à côté de Jeanne Moreau flamboyante, le soir de l'ouverture. Il a été semble-t-il frappé par une attaque. Le grand Antonioni, quelle tristesse...Succombant sous le poids des informations, le Koestler proposé par «Un siècle d'écrivains» aura étourdi les admirateurs du célèbre rebelle à tous les totalitarismes, rescapé d'on ne sait combien de geôles... Cet intellectuel juif hongrois qui ne cessa de changer de pays, de langue, de bourreaux, a laissé des livres fameux, et d'abord «le Zéro et l'Infini» en 1940, où il démonte la mécanique des procès staliniens, bien d'autres encore, tous saignants de ses expériences. Renégat du communisme, haï comme tel, il s'attira la fameuse réplique de Sartre : «Un anticommuniste est un chien!», avant de se brouiller avec lui.Echoué en Grande-Bretagne après d'innombrables tribulations, Koestler a fini sa vie en s'interrogeant sur la raison du divorce entre l'évolution et la raison, et il en a fait une théorie, avant de se suicider à 78 ans. En fait, cette vie a été trop riche en péripéties dramatiques pour être condensée en 52 minutes. Ce n'est pas la faute des auteurs.Il faut être un peu masochiste pour regarder une émission sur Maastricht. Eh bien, elle n'était pas ennuyeuse du tout, au contraire, vivante, rapide, claire, remettant bien l'histoire de l'Europe en place... Des deux débatteurs qui suivirent, l'un, historien, Jacques Maseille, était farouchement antimaastrichtien, l'autre, économiste, Elie Cohen, favorable au contraire, ce qui donna lieu à des passes économiques un peu difficiles à suivre. Néanmoins, le second trouva sans peine mon adhésion. Voilà de la bonne pédagogie («le Sens de l'histoire»).Dommage qu'on ne l'écoute plus, Valéry Giscard d'Estaing. Car il dit, comme souvent, des choses intelligentes dans son style limpide. De tous ceux qui ont parlé à droite, il est le seul à avoir énoncé cette simple remarque : «Les Français sont majoritairement mécontents de la façon dont ils sont gouvernés. Ils peuvent envoyer deux messages au président de la République : on garde la majorité pour gouverner comme avant; on change la majorité pour revenir au socialisme. Mais je crois qu'en réalité ils veulent envoyer un troisième message : on garde la majorité mais pour gouverner autrement.» Pas facile à exprimer, il est vrai, avec un bulletin de vote. F. G.
Jeudi, mai 15, 1997
Le Nouvel Observateur