Lire ces auteurs algériens qui ont écrit sous la menace permanente de la mort, c'est les aider à vivre
Ne tirez pas sur le pianiste, il fait ce qu'il peut. Si le chef de l'Etat croit qu'il peut ressaisir par une dissolution un pays désabusé, s'octroyer un petit référendum personnel et refaire une virginité à Alain Juppé pour prendre ensuite un virage ultralibéral, c'est son intérêt le plus évident d'abréger une législature enlisée dans l'échec. Il ne s'agit pas de savoir si Tartemuche et Tartemolle entreront au gouvernement, il s'agit du fond des choses. On aura peut-être à déplorer qu'elles prennent un cours nouveau. C'est une autre histoire. Reste qu'il faut gagner ces élections anticipées. Ce n'est pas encore joué... Obligé de parler avant lui, Lionel Jospin n'était pas à sa main. Il fut bon sur l'Europe, habile en dénonçant le modèle capitaliste archaïque auquel, selon lui, Jacques Chirac va se rallier au moment où les Anglais en sortent, faible dans la défense de son plan économique. «Mais nous ferons les choses progressivement...» C'est son talon d'Achille. Trio de femmes à «Droit d'auteurs». L'une, historienne, Michèle Perrot, parlait de George Sand, dont elle a réuni des textes politiques et polémiques. Foin de Chopin et de Musset, c'est un autre personnage qui apparaît là, qui fut au cœur des choses avec une approche très moderne des problèmes de son temps, et en particulier des questions sociales. Tocqueville, qui la détestait, assurait qu'il les avait mieux comprises après avoir entendu George Sand en parler. Républicaine, socialiste, chrétienne, tourmentée par la condition féminine dont elle cherche à sortir, elle apparaît à travers ces écrits dans toute la force de sa personnalité originale («Politique et Polémiques de George Sand»). Ardente elle aussi, ô combien, Elisabeth Guigou mène courageusement son combat pour l'entrée des femmes en politique. Depuis ces jours funestes de la Révolution française où le droit de vote leur fut refusé, les femmes ont joué un véritable rôle, mais elles n'ont pas eu de représentation dans l'histoire, ce qui rend la France tristement exceptionnelle. Elisabeth Guigou fait partie de ces femmes qui n'ont jamais eu à se colleter avec les misogynes jusqu'à ce qu'elle prétende entrer en politique. Là, elle a vu, elle a subi, elle a compris, et elle est devenue féministe. («Etre femme en politique»). Nicole Notat a fait le même trajet. Elle s'insurge contre«une représentation politique mutilée» . Elle croit qu'il n'existe pas un «camp» des femmes. Mais qu'il existe un «nous», qui crée des phénomènes de complicité. Elle n'a pas oublié ces jours de 1995 où elle s'est fait molester dans la rue sous le regard goguenard des chefs syndicalistes. Etre responsable de la CFDT et exposée à la critique, au regard, c'est normal. Mais là, les mots visaient la femme. («Je voudrais vous dire...») Maurice Lévy, président de Publicis, lui a fait remarquer que de tout temps la CFDT a dérangé. Donc Nicole Notat dérange. «C'est un phénomène propre à la société française bloquée sur l'emploi, sur le chômage, sur tout. Cela vous isole», dit-il.«Non, répondit-elle, cela nous différencie.» C'était dit fièrement. Une nouvelle littérature algérienne d'expression française est en train de naître, sur laquelle Alger a jeté l'anathème. Ecrite sous la menace de l'exécution, elle mérite qu'on lui tende l'oreille. Bernard Pivot la présentait ainsi. Une jeune femme, Hafsa Zinaï-Koudil, qui vient de publier «Sans voix» et à qui la France refuse le renouvellement de sa carte de séjour. Choqué, Bernard Pivot en a appelé solennellement à Jean-Louis Debré. Avec elle, sur le plateau, une femme magnifique, dont on a déjà eu l'occasion de parler ici, Khalida Messaoudi, professeur de mathématiques, qui est l'image même de la résistance à la terreur («Une Algérienne debout») et qui a beaucoup réfléchi sur les raisons de la haine particulière que les islamistes nourrissent pour les femmes. Son caractère obsessionnel montre, dit-elle, que la sexualité est au cœur de ce comportement...Un jeune romancier, auteur de «Peur et mensonges», raconte l'histoire d'un journaliste traqué par ses voisins. Là est l'omniprésence de la peur. Une autre, Latifa Ben Mansour, a décidé de célébrer la vie («la Prison de la peur»). Lire ces auteurs qui ont écrit le couteau sur la gorge, c'est les aider à vivre. F. G.
Jeudi, avril 24, 1997
Le Nouvel Observateur