Comment le rêve américain s'est déplacé: c'est ce que nous aura fait découvrir la dernière campagne présidentielle
Les Etats-Unis ont été au menu partout cette semaine. J'en ai retenu un bon reportage de Christine Ockrent sur l'Amérique d'aujourd'hui, qui a recouvré la santé économique mais reste anxieuse pour l'avenir de ses enfants, repliée sur des valeurs conservatrices mais animée par une dynamique communautaire. Elle a décelé également un certain changement d'état d'esprit dans les classes moyennes. Se contenter d'une seule voiture, pourquoi pas? On peut dépenser moins et mieux vivre. Cette philosophie porte déjà un nom : la nouvelle frugalité. Le rêve américain aurait-il disparu? Pas vraiment. Il se déplace. L'Amérique est grande et multiple, on peut toujours rêver quelque part. Remarquable, d'autre part, le document diffusé par «le Sens de l'histoire» sur la façon dont, au fil des années, s'est fabriqué un pré-sident, et le rôle exor-bitant que joue aujourd'hui dans l'élection la télévision... On frémissait à la pensée que la publicité politique pourrait avoir un jour, en France, droit de cité. C'est une lèpre sur la face de la démocratie américaine, qui la ronge. Evénement inouï: on a vu dimanche le responsable d'une grande chaîne de télévision confesser qu'il avait «déconné» . Il s'agissait d'Alain de Greef, directeur de la programmation de Canal+, à propos du «Vrai Journal» de Karl Zéro et d'un sketch où l'on voyait le président de la République assassiné, avec ses ministres, par des excités lui reprochant sa politique. La moindre des choses. Résultat pratique : Alain de Greef a suspendu l'émission pour quatre semaines et se donne ce délai pour y remettre de l'ordre avec son principal animateur. L'étonnant est qu'il soit venu dire lui-même, à «Arrêt sur images»: «J'ai vu ce sketch avant sa diffusion. J'ai failli à ma tâche en le laissant passer.» Canal+ n'a pas fini de nous surprendre. Dieu était à l'affiche chez Bernard Pivot, bien entouré. Une jeune romancière, Laurence Cossé («le Coin du voile»), Alain Decaux («la Bible racontée aux enfants»), une belle religieuse dont je n'ai pas saisi le nom, le visage illuminé par sa foi, et, last but not least, le biographe de Dieu soi-même, Jack Miles. Pivot les voulait taraudés pas la question de l'existence de Dieu, mais ils ne paraissaient pas taraudés du tout. La religieuse était toute certitude, Alain Decaux a «choisi de croire en Dieu», le biographe fut plus perplexe. Il espère mais il doute. «Vous n'êtes pas effrayé par votre audace? demanda Pivot. Peindre Dieu!» Jack Miles n'est pas effrayé du tout. Il constate que Dieu est le héros du plus grand livre du monde, la Bible, et que son existence est ainsi prouvée par la littérature. Mais il part du principe que Dieu n'est pas parfait. Il n'a pas de texte, pas de plan : il crée. Il tâtonne. Son humeur change au fil des siècles. Il est de plus en plus silencieux. «Pourquoi tant de sang? demanda encore Pivot. ? Question de caractère. Pour les croyants , c'est une difficulté très grave. Pour les autres, c'esttrès utile.» Sept cents pages positivement extraordinaires. Bernadette Chirac a une vertu rarissime : la simplicité. Il en fallait pour sortir indemne du portrait conventionnel qu'a réalisé à son propos «Envoyé spécial». Mais elle est directe, droite, sincère, elle parle franc. Et cela emportait tout. Pour un milliardaire en dollars, il est diablement sympathique, George Soros. On ne l'imaginait pas tel qu'il est apparu à «7 sur 7», couplé avec Jacques Attali. «Je suis étonné d'être là où je suis, dit-il. Je m'étonne moi-même.» Sa célébrité est née le jour où, spéculant sur la livre sterling, il a provoqué sa dévaluation. Ce dont il se défend : «La livre aurait été dévaluée même si je n'étais pas né.» Et encore : «Je reconnais que c'est obscène qu'on puisse gagner autant d'argent avec de l'argent.» Alors, il s'efforce de «faire quelque chose» pour les autres à travers ses multiples fondations, auxquelles il consacre des sommes colossales. «Vous m'écoutez parce que j'ai de l'argent, dit-il. Mais j'ai aussi des idées!» Il en a beaucoup, en effet, et d'originales. Par exemple, qu'il y a un intérêt commun qui prime les intérêts particuliers, point de vue peu répandu chez les milliardaires. Bref, un personnage hors du commun dans le monde des grands requins. Il est vrai que George Soros est d'origine hongroise, et que les Hongrois sont le sucre de la terre... F. G.
Jeudi, novembre 7, 1996
Le Nouvel Observateur