Vous avez dit fasciste?

«Il ne faut rien exagérer»,citons simplement l'attitude et les propos de M. Le Chevallier, maire de Toulon
Voici donc lancée l'opération antiviolence du CSA. Des signaux de couleurs différentes avertiront désormais les parents de la nature des films projetés : inoffensifs; interdits aux moins de 12 ans; aux moins de 16 ans. A eux de faire la police chez eux. L'intention est louable mais elle appelle trois remarques. Un, ce système de signalisation est compliqué. Il ne s'adresse qu'au public évolué. Deux, un grand nombre d'enfants ne regardent pas la télévision avec leurs parents, surtout dans la journée. Ils se jetteront avec délice sur ce qui est interdit. Trois, dans une famille où les parents sont fatigués, le soir, les voit-on entreprendre un bras de fer avec un gamin de 15 ans pour le priver d'un spectacle? J'ai déjà suggéré la seule mesure susceptible d'écarter des yeux des enfants l'étalage de la violence triomphante : elle consisterait à interdire purement et simplement les films de violence avant 11 heures du soir. Mais une telle mesure lèserait de gros intérêts. Qui osera l'imposer? Rappelons qu'en une seule journée prise au hasard, on peut voir à la télévision 135 tentatives d'assassinat. Voilà l'école des enfants. On croit avoir vu toutes les horreurs du monde, on est saturé, mithridatisé, et puis nous vient de Russie un spectacle hallucinant : celui d'enfants handicapés parqués comme des bêtes dans des mouroirs, squelettiques, flottant dans leurs camisoles sales, drogués aux tranquillisants. Quand on en manque, on les attache... Ils sont «socialement inutiles». Alors on les laisse crever, c'est tout simple. Il paraît qu'il en va ainsi depuis soixante-dix ans. Spectacle d'épouvante. Un homme cherche à alerter l'opinion internationale. Il se nomme Sergueï, il a une petite fille trisomique, il a refusé de l'abandonner. Il vient la voir, il parle avec les enfants, il tente d'adoucir leur sort d'un rayon de tendresse... Terrible reportage qui laisse tremblant d'effroi («Envoyé spécial»). Les femmes étaient à la fête, chez Bernard Pivot, et elles furent toutes agréables à voir et à entendre, calmes et précises dans leurs propos. Ce n'était pas des mauviettes, il faut dire. Philosophe, commissaire divisionnaire, députées, cosmonaute... Ce qui les réunissait était le débat sur la parité. Faut-il, oui ou non, militer pour la parité, c'est-à-dire pour l'égalité devant les électeurs? Il n'y eut pas unanimité. Les réfractaires préféreraient que l'initiative vienne des partis eux-mêmes, au lieu qu'il s'agisse d'une mesure imposée. Vœu pieux. Jamais le personnel politique ne cèdera de plein gré des places aux femmes dans le combat électoral. Jamais. La parité est peut-être un mauvais système mais c'est le moins mauvais de tous, comme disait Churchill de la démocratie. Sans elle, nous n'en finirons pas de gémir parce qu'il y a 6% de femmes à l'Assemblée. «Droit d'auteur» a donné la parole à Raymond Aubrac («Où la mémoire s'attarde»). On était heureux de voir l'illustre résistant vert encore, de l'entendre prononcer son éloge de la désobéissance. «Volontaires et désobéissants», tels étaient les résistants. Avec sa femme Lucie, il se considère comme toujours résistant, c'est-à-dire mobilisable pour une juste cause. Avec Alain Finkielkraut («l'Humanité perdue»), les choses furent moins claires. On se noyait dans une dialec-tique si savante qu'elle devenait opaque. Que ne dit-il les choses avec simplicité? On est prêt à l'entendre... Ça commence quand le fascisme? Ça ne commence jamais, c'est tout le problème. Ça circule, ça rampe, ça montre le bout de son nez, c'est lui, vous croyez? Il ne faut rien exagérer... Et puis un jour on le prend dans la gueule, et il est trop tard pour l'expulser. Marek Halter était invité à la Foire du Livre de Toulon, où hommage devait lui être rendu. Il vient de publier «le Messie». Soudain, crac, le maire FN de la ville, M. Le Chevallier, fait savoir qu'il ne veut pas de lui. Il lui préfère Brigitte Bardot. Ce n'est pas le même genre, en effet. Que reproche-t-il à Marek Halter? Il l'a dit sans faiblir à LCI, où Guillaume Durand l'a invité: Marek Halter, dont il feint de ne pas arriver à prononcer le nom, a «une vision du monde plus internationaliste, plus mondialiste qu'un attachement à une nation, à une terre nationale... Il n'est pas de mon bord» . Marek Halter a failli s'en étrangler. Fasciste, M. Le Chevallier? Il ne faut rien exagérer, n'est-ce pas? F. G.

Jeudi, octobre 31, 1996
Le Nouvel Observateur