Bardot, celle qui incarnait Satan, et Claudie André-Deshays, celle qui tutoie le ciel...
Confidentiel, «le Cercle de minuit» n'en a pas moins d'attrait, surtout lorsque Laure Adler déniche un intellectuel de haute volée pour l'interroger. Cette fois, c'était Jean-Pierre Vernant, l'helléniste, engagé de bonne heure auprès des communistes, qui a raconté sa trajectoire dans le siècle à propos de la publication de son ouvrage, «Entre mythe et politique». Ni apostat ni renégat, il a parlé sereinement des combats de sa jeunesse, mais il réfute l'expression «croire au communisme». Ce n'était pas pour lui une croyance. Seulement l'espoir qu'on peut faire une société plus juste. Une utopie, mais en laquelle on pouvait espérer. Nous vivons tous entre deux pôles : la rationalité et l'imaginaire. C'était le versant imaginaire. Aujourd'hui, il dit : le monde n'a pas de sens, la vie n'a pas de sens; il faut se bricoler un sens avec ce que le monde vous offre de positif. La beauté. Ce qui rend la vie vivable, c'est qu'il y a de la beauté. Intellectuels encore, ceux que Jacques Julliard et Michel Winock ont réunis dans un dictionnaire qui fait blêmir ceux qui n'y sont pas. «Pourquoi les intellectuels se sont-ils trompés et nous ont-ils égarés?»: c'est la question à laquelle Bernard Pivot leur demandait réponse ainsi qu'à Jean-François Revel et à Alain Finkielkraut. Il n'y a pas de réponse sinon celle de Jean-Pierre Vernant : nous vivons entre la rationalité et l'imaginaire. Il y a seulement quelques intellectuels qui surent raison garder : Raymond Aron, Claude Lefort, Alain Besançon, pendant que Sartre divaguait... Alain Finkielkraut confessa que, élève à Normale, il avait été maoïste pendant six mois en Mai-68. «Il y a un conformisme de la révolte, on veut en être, on croit appartenir à l'élite qui connaît le sens de l'histoire...» Mais qu'est-ce que l'intelligence quand le rapport au réel disparaît? On termina sans conclure, sinon que le XXe siècle aura été un piège infernal, et pas seulement pour les intellectuels. Reportage accablant dans «Envoyé spécial», à propos du massacre de Srebrenica. Il apparaissait là, avec éclat, qu'en refusant de faire appel à la force aérienne pour délivrer l'enclave, le général Janvier en a été le responsable. Cela a déjà été dit. Le récit détaillé des interventions, des conversations, balayait tous les doutes. Aujourd'hui, le général Janvier se tait. Il y a eu 15000 morts. Documentaire excellent sur le fameux épisode de la place Tiananmen, en Chine. Tout à coup, on comprenait quelque chose à la révolte des étudiants, ses causes, son déroulement relativement long, leur espoir fou de se réapproprier le destin de la Chine. L'exaspération contre la corruption des couches montantes, les ressentiments du monde universitaire, parent pauvre des réformes de Deng Xiaoping, autant d'étincelles. Cet autre monde, qui nous est tellement étranger, devenait soudain intelligible. «Arrêt sur image» a entrepris le procès de «Témoin n°1» à propos de la profanation de Carpentras. On sait que Jacques Pradel a consacré une large place à cette affaire, en privilégiant les rumeurs et les témoignages selon lesquels il s'agissait d'un fait-divers local. C'est du moins ce que Daniel Schneidermann a tenté de prouver par l'image. Mais Pradel et son compère Patrick Meney se démenaient comme des diables, et on barbota dans une confusion dommageable à l'établissement de la vérité. Ils refusèrent avec la dernière énergie de reconnaître leur erreur. C'aurait été cependant une façon de rétablir pour l'avenir un peu de leur crédibilité. En somme, c'était un bon petit diable, celle qui incarnait Satan aux yeux du Vatican, je veux dire Brigitte Bardot. Des amants à la chaîne, mais rien de bien sulfureux là-dedans. Le film que lui a consacré Allain Bougrain-Dubourg était gentil, plein d'images d'autrefois, plaisantes parce qu'on est toujours heureux de la voir dans l'éclat de sa jeunesse. Elle disait : «Je ne me trouve pas très con», ce qui ne faisait pas honneur à son vocabulaire. Surtout, une phrase de son livre la dément : «Je hais les congés payés.» Ah! la petite sotte! Claudie André-Deshays, charmante à voir, fut aussi agréable à entendre («7 sur 7»), autant dans ses propos techniques, intéressants, que dans ses commentaires de nature politique, mesurés. Elle a la tête dans le ciel mais les pieds sur terre. Un bel échantillon de Française. F. G.
Jeudi, octobre 3, 1996
Le Nouvel Observateur