Le récit historique, c'est décidément ce que la télévisionfait de mieux. On ne s'en lasse pas
Quelle dérouillée! Mais Christine Ockrent ne l'a pas volée. Mieux : elle l'a cherchée en se frottant à Jean-Marie Le Pen. Que croyait-elle donc? «Moi, je saurai l'interroger, moi, je saurai faire face, moi, on ne m'écrase pas», il y avait tout cela dans sa fière attitude sauf qu'en combat singulier c'est Le Pen qui commande... Alors pourquoi l'inviter? Pourquoi lui offrir une tribune où l'entendre faire son beurre sur le cadavre d'un enfant? Pour le déconsidérer? Mais c'est tout le contraire qui se produit. Pour chaque spectateur atterré, il y en a eu un autre qui a dit, ravi : «T'as vu ce qu'il lui a mis? L'égalité des races, c'est de la foutaise... Y a qu'à voir la racaille dans le métro...» Déguiser une énormité sous le masque du bon sens, c'est sa spécialité, à Le Pen. En ne faisant qu'une bouchée de Christine Ockrent, qui n'est pourtant pas la plus manchote des journalistes, il a montré une fois de plus qu'on ne discute pas avec lui. On le subit. C'est devant les tribunaux qu'il faut lui demander des comptes. Non devant les caméras. Dans une semaine molle, deux émissions dites culturelles se sont détachées : un admirable document sur Francis Bacon, conversation avec le plus intelligent, le plus brillant, le plus provocant des peintres. Un régal. Et un document sur Celibidache, le chef d'orchestre récemment disparu, faisant travailler son orchestre avec une belle intelligence de la musique qui, dit-il, n'existe pas. Ce sont les sons que vous émettez qui font la musique. C'était royal. Et puis, on eut un peu d'histoire, avec la résistance des Danois aux hitlériens. L'histoire est décidément le meilleur filon, inépuisable, de la télévision, celui dont on ne se lasse pas quand il est bien exploité. L'émission sur les Danois aurait pu être meilleure, mais ce qu'elle racontait est relativement peu connu du public français : c'est la façon dont la population danoise a réagi aux menaces sur les juifs en 1943, en les cachant, puis en les acheminant vers la Suède par la mer, dans un élan collectif qui a sauvé de la mort la quasi-totalité des juifs danois. Une prouesse, qui fait la fierté du pays. Parmi les émissions classiques, un point d'«Envoyé spécial» sur la question des vaches folles ne fut pas rassurant car, en dépit des règlements, il apparaît que la porte est ouverte à toutes les fraudes. Et sans être alarmiste, le professeur Montagnier fut réservé sur la formule selon laquelle «le risque est derrière nous» ... Parmi les nouveautés, «le Vrai Journal» de Karl Zéro sur Canal+. Canal est en baisse de régime. Les nouveaux Guignols n'ont pas trouvé leurs marques; «Nulle Part ailleurs» a perdu son joker, Jacky. Karl Zéro est donc le bienvenu, le dimanche, avec son humour au papier émeri. Mais voilà que, dans son «Vrai Journal», il a oublié de faire rire, fût-ce en grinçant des dents, pour se poser en grand dénonciateur de vérités dissimulées. Sur quoi, il interroge Michel Rocard sur la réduction du temps de travail. Quel rapport? Aucun. L'ensemble n'était pas sans intérêt, mais hétéroclite et pas précisément gai! A «Bouillon de culture», le pivot de Pivot fut Eric-Emmanuel Schmitt, dont la pièce, «Variations énigmatiques» va être jouée, ces jours-ci, par Alain Delon et Francis Huster également présents sur le plateau. Loquace et brillant, l'heureux auteur n'a pas manqué de passer la rhubarbe tandis qu'on lui passait le séné... Alain Delon, discret, osa seulement faire remarquer que ce qui se disait à propos de «Variations énigmatiques» n'était pas de nature à y précipiter le public. En quoi il avait raison. Mais avec cette affiche, E.-E. Schmitt ne devrait pas avoir trop de souci à se faire... «Un siècle d'écrivains» était cette fois consacré à Saint-Exupéry. La légende y était mais il en ressortait un personnage mélancolique, mal sorti de l'enfance, qui n'était pas faux mais un peu court, pauvre. Et fallait-il escamoter pratiquement les hésitations de Saint-Ex pendant la guerre? Mais les textes extraits de ses œuvres étaient bien choisis et bien lus. Enfin «7 sur 7» réunit deux chefs d'entreprise, MM.Leclerc et Kessler. «Il faut, il faut, il faut.» Sévères pour le gouvernement, ils nous dirent ce qu'il faut pour que l'économie reprenne des couleurs mais non par quels moyens... La recette magique reste à énoncer. F. G.
Jeudi, septembre 19, 1996
Le Nouvel Observateur