Ceux-là sont dangereux, disait Lawrence d'Arabie, car «ils sont capables de mettre en oeuvre leurs rêves pour les réaliser. C'est ce que je fais»
Qu'elle est donc déplaisante, cette affaire où l'on voit la police judiciaire refuser d'assister un juge d'instruction lors d'une perquisition! Et il ne s'agit pas de n'importe quel juge et de n'importe quelle affaire, mais de la perquisition effectuée par le juge Halphen chez M. Tiberi dans le cadre d'une grosse histoire de fausses factures. Comment ne pas en ressentir pour le moins un malaise? Et pour couronner le tout, le parquet classe sans suite le dossier concernant l'appartement du fils Tiberi. Invité par PPDA, le garde des Sceaux, M.Toubon, nous a fait une conférence sur le droit et la justice dont il serait le plus ardent gardien. Ne voit-il pas qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de M.Tiberi et qu'à trop vouloir l'en exonérer il en devient suspect? Tout cela dégage une odeur telle qu'il faut se boucher le nez rien que pour en écrire. Quand la télévision prend ses quartiers d'été, il faut gambader à travers les chaînes, parfois à des heures indues, pour trouver ici ou là un programme alléchant. Ainsi suis-je tombée sur la rediffusion d'un savoureux portrait de Jean-Pierre Melville, le metteur en scène, réalisé par André S.Labarthe avec son talent habituel, comme s'il s'agissait d'un film de Melville lui-même. Douze films derrière lui, fou de cinéma américain, il s'était créé un personnage? une gueule, un Stetson, des lunettes noires, une façon particulière de prononcer lesl et les t ? et vivait en vase clos dans ses studios de la rue Jenner, ou dans une demeure où d'épais volets assuraient une nuit permanente. C'est cet homme à l'allure de gangster sophistiqué que Labarthe a interrogé. Alors il s'est mis à parler de cinéma, sa passion, dans un langage châtié, et ce fut superbe, même si, pas un instant, il ne lâcha la pose (Arte). Réussi également, dans un autre genre, le portrait de D. H. Lawrence dans «Un siècle d'écrivains».Grâce à d'abondantes archives, le Lawrence de la légende nous est apparu, avec son petit visage blond et maigre, dès le début de son équipée en terre arabe, vêtu en Bédouin. Il disait : «Tous les hommes rêvent. Mais ceux qui rêvent le jour sont dangereux. Ils sont capables de mettre en œuvre leurs rêves pour les réaliser. C'est ce que je fais.» Son rêve : l'indépendance de toute la terre arabe arrachée pendant la guerre de 1914 à l'Empire ottoman, partagée ensuite entre les colonisateurs britanniques et français, et ce fut la fin du rêve. Lawrence d'Arabie avait beaucoup contribué à la victoire alliée sur les Turcs, avec un génie qui lui fut reconnu. Rentré en Angleterre où il était célèbre, il écrivit «les Sept Piliers de la sagesse», un chef-d'œuvre, et vécut sous des noms d'emprunt avant de se tuer à moto. La qualité du film tenait à ses documents, bien sûr, mais aussi à sa simplicité. Pas de prétention, des faits, des images et l'aura, sensible, du personnage. Un complément précieux au texte d'André Malraux récemment publié dans la Pléiade, «le Démon de l'absolu». Frédéric Ferney a interrogé Salman Rushdie pendant une heure pour «Droit d'auteurs». On est saturé de Rushdie, mais pour une fois la traduction simultanée était parfaite, et il parla avec charme de l'état de romancier et plus largement de littérature. Son auteur préféré: Ovide, ce grand persécuté, qu'il relit en ce moment. Mais, de Rousseau à Balzac, son éventail est large. Il ne boude que Zola. Le fanatisme? Une forme de stupidité. Mais comment arriver à une société tolérante et pluraliste sans glisser dans la décadence? C'est la question. «Le Dernier Soupir du Maure», roman chatoyant, a obtenu un succès considérable, le rétablissant dans sa condition de grand romancier. Il en est heureux. Le reste... «La peur est quelque chose qu'il faut apprendre à mettre de côté, dans une boîte.» Il a appris. Entre ceux qui sont nuls et ceux qui sont usés par la télévision, on ne sait plus qui regarder parmi les politiques invités par Anne Sinclair. Alain Lamassoure et François Hollande ont encore un peu de fraîcheur, mais ils nous ont bercés de langue de bois, plaidant chacun pour sa paroisse. «Où est l'espoir?», demandait Anne Sinclair. Il faudra qu'elle cherche ailleurs. Pour l'heure, on notera seulement que M.Lamassoure, porte-parole du gouvernement, a décelé « quelque chose d'anormal » dans l'affaire Tiberi . Anormal ? Anormal. F. G.
Jeudi, juillet 4, 1996
Le Nouvel Observateur