Pour notre amie, certains militants d'Act Up en ont décidément trop fait, l'autre soir au Sidaction.Et ont risqué de desservir une cause qu'elle a elle-même si souvent défendue
La pratique de l'homosexualité, longtemps tenue secrète, ne craint plus de s'afficher. Mais comment en parler sans choquer ni les pratiquants ni les autres? Comment dire aux homosexuels qu'on les comprend, qu'on les respecte et qu'en même temps on les ressent différents? Différents : à peine emploie-t-on ce mot, on est suspect de «racisme». Pourtant il n'y a aucune connotation méprisante, ou injurieuse. Différent signifie : «Nous ne sommes pas pareils, toi et moi, mais tu es et tu dois être mon égal au sein de la société, égal en droits et en respect que l'on doit à toute personne humaine.» Mais pourquoi feindre de croire que la société française est, dans son ensemble, en état d'accepter pacifiquement les revendications des homosexuels lorsqu'ils veulent mimer les couples hétérosexuels? Elle ne l'est pas, même si elle a fait, depuis quelques années, de grands pas dans le sens de la tolérance à la différence. Pour une mère, pour un père, un enfant homosexuel est encore un malheur, et les jeunes homosexuels en souffrent durement. Il faudra longtemps avant que ce préjugé disparaisse, s'il doit disparaître. En attendant, il s'agit de faire avancer peu à peu dans les textes et les lois ce qui distingue le citoyen homosexuel de son frère hétérosexuel, de lui accorder progressivement les droits qu'il réclame âprement. Pourquoi progressivement? Parce qu'on ne peut pas bousculer une société sans entraîner des réactions violentes. On a assisté au cours du dernier Sidaction à une scène caractéristique de ce que l'on obtient par la provocation. Le dirigeant d'Act Up et son ami étaient en scène. Le premier expliqua que la France était«un pays de merde», qu'au lieu de s'occuper des 600 enfants malades du sida on ferait mieux de penser aux 30000 «pédés», le second, caricature de l'homosexuel, gémit parce que le maire de son arrondissement lui refuse le certificat de conjugalité que d'autres délivrent... C'était leur droit. Mais c'est aussi comme si l'on avait ouvert une douche froide sur ceux-là même dont on sollicitait l'obole et qui, d'ailleurs, si mes renseignements sont exacts, se sont rétractés. En termes d'argent, le Sidaction a été un échec par rapport à celui de 1994. On n'obtient rien sans le demander, parfois avec violence? C'est vrai aussi. Et il ne s'agit pas de faire la leçon à ceux qui veulent pêle-mêle le droit de se marier ensemble, d'adopter des enfants, de pouvoir hériter l'un de l'autre et je ne sais encore quoi. Ils sont libres de leurs moyens. Simplement, chaque fois qu'ils provoquent ceux que leurs moeurs particulières hérissent, ils font faire à leur cause un pas en arrière et les vieux réflexes contre les «pédés» se déclenchent. La société française n'est pas plus rétrograde qu'une autre à cet égard. Mais il faut la prendre doucement. Elle ne se laissera pas brutaliser. F. G.
Jeudi, juin 13, 1996
Le Nouvel Observateur