Après un voyage en Chine, FG revient sur la politique économique de la Chine menée par Deng Xiaoping, une « économie socialste de marché » qui commence à intéresser les entreprises françaises. Portrait d'une société en pleine évolution.
« Si la Chine se rénove... » Les forces disciplinées et réunies de la Chine et du Japon seront une terrible menace. »
Ce titre et ce sous-titre figurent à la « une » d'un grand quotidien français, « l'Excelsior ». Daté de décembre 1911. C'est-à-dire lors de la chute de l'Empire.
Personne ne s'exprimerait aujourd'hui en ces termes, face à la Chine qui se rénove et à la puissance économico-technologique du Japon, qui entend bien prendre part active à cette rénovation. Mais sur le fond, cette école de pensée a des adeptes jusque dans les allées du pouvoir, où l'on évoque volontiers le jour où les Blancs, Russes y compris, se retrouveront unis contre les Jaunes.
La séduction qu'a toujours exercée, et que continue d'exercer, la plus vieille nation du monde, à travers ses tribulations politiques, se double pour certains d'effroi devant la puissance qui deviendrait la sienne si elle possédait les instruments du développement.
M. Giscard d'Estaing, s'il est apparemment moins sensible aux sortilèges de l'Asie qu'à ceux de l'Afrique, ne semble pas partager cet effroi frileux.
Intéressé, a-t-il dit poliment, par « l'économie socialiste de marché » que les dirigeants chinois commencent à mettre en œuvre, il est bien évidemment convaincu que le décollage de la Chine prendra assez longtemps pour que, dans les années à venir, il n'y ait que des avantages à y contribuer.
On sait que si la France ne livrera pas, cependant, d'armes offensives à la Chine, elle doit en principe lui fournir ses deux premières centrales nucléaires. Les techniciens d'Elf Aquitaine fouillent déjà la mer de Chine pour en faire jaillir du pétrole, tout en se désolant que, pour rester informés de ce qui se passe dans le monde, ils soient obligés d'écouter la « Voice of America » ou la B.B.C., Radio France internationale ne disposant pas des crédits nécessaires. Les entreprises françaises sont en compétition avec celles des autres nations industrielles pour vendre divers équipements.
Si ce que l'on m'a dit est exact, il semble qu'elles soient en train de se faire « doubler » par la firme allemande Siemens en ce qui concerne la fourniture de ces appareils sophistiqués que sont les scanners, les explorateurs du corps utilisés en médecine, qui valent chacun plus de cinq millions.
La Chine en possède quatre, de la première génération. Elle veut en acquérir cinq, de la quatrième génération. Si l'acupuncture reste la base de la médecine chinoise, celle-ci ne néglige pas pour autant les équipements ultra-modernes.
Seules les unités de réanimation n'intéressent pas les responsables de la santé. Ils n'y croient pas. Peut-être parce que les maladies cardiaques sont ici pratiquement inexistantes. Pour toute la ville de Pékin, il y a cinq cardiologues, et ils ont peu de travail. Alimentation ? Mode de vie ? Absence d'angoisse métaphysique, cette façon de se ravager apparemment ignorée par ce peuple, profondément attaché à ses rites mais non religieux ? Je ne saurais dire.
Peut-être, si les Chinois obéissent au mot d'ordre lancé par Deng Xiaoping dans le Setchouan, sa province d'origine
— « Enrichissez-vous ! »
— contracteront-ils en même temps quelques troubles du côté du cœur. Pour le moment, c'est plutôt des hégémonistes qu'ils semblent soucieux de se protéger.
Les hégémonistes — entendez les Soviétiques — ne sont jamais appelés par leur nom. Comme s'il existait un pays nommé
Hégémonie, peuplé d'Hégémonistes, parlant l'hégémon.
Chacun sait que la ville de Pékin — et d'autres sans doute — est doublée d'une ville souterraine entièrement organisée, magasins y compris, pour servir d'abri atomique. Etrangement, on peut la visiter alors que l'accès du métro était, la semaine dernière, refusé.
Quant au mystère des milliers de cyclistes qui roulent sans lumière au péril de leur vie, déclenchant les hurlements des avertisseurs, il faudrait l'expliquer ainsi : en cas d'attaque aérienne nocturne, on peut en un instant couper le courant dans une ville. On ne peut pas enterrer des millions de bicyclettes. Et elles formeraient un dangereux serpent de lumière. Impossible de vérifier le bien-fondé de cette explication.
Le sûr est que la « large convergence » observée, à son retour, par M. Giscard d'Estaing entre les analyses française et chinoise de la situation internationale s'accompagne d'une « large divergence » en ce qui concerne l'U.R.S.S., et que le président de la République a sous-estimé ses interlocuteurs chinois s'il a cru pouvoir obtenir à la fois la bénédiction des Soviétiques et la leur, en échange de quelques babioles. La subtilité de mille mandarins n'y aurait pas suffi. Ni la prochaine reconnaissance par la France de l'O.L.P. dont on assure, à Pékin, que M. Giscard d'Estaing s'est déclaré prêt à l'annoncer dès que « le calendrier le permettra ».
Une visite officielle en Chine ne saurait se passer sans que l'on vous conduise à la fameuse muraille, qui épouse comme un galon beige la ligne de crête des montagnes par où l'on redoutait que déferlent les Mongols.
Il est bon — mais pas indispensable — de l'avoir vue et d'avoir parcouru cinq cents mètres sur ce sinueux boulevard de six mille kilomètres dont des cohortes de touristes — chinois — arpentent chaque jour le segment ouvert à leur curiosité. De sorte que, marchands de babioles-souvenirs et photos sur un chameau, la visite de la muraille de Chine tient de Lisieux ou de la tour Eiffel.
Pour le reste, si éblouissants que soit le Temple du ciel, la Cité impériale et autres splendeurs, je me garderai de décrire ici ce que les guides font à merveille.
Cette Chine-là, et même celle de Zhaoling, dans la région de Xian, où l'on est en train d'exhumer six mille guerriers de terre cuite composant l'armée que le premier empereur de Chine, Qin Shihuang, enterra avec lui, est fascinante, troublante, émouvante comme tout ce qui plonge dans le fond des siècles. Mais c'est la Chine d'aujourd'hui, celle de Pékin l'austère, de Shanghai la débraillée, la grouillante, qui fait un peu penser à Naples, de Xian la provinciale encore toute campagnarde, que l'on voudrait savoir déchiffrer au-delà des apparences, des chiffres, des rires énormes qui accueillent la représentation, en chinois, du « Bourgeois gentilhomme », des déclarations officielles, des vraies ou fausses confidences.
« Vous voyez cet endroit ? dit un interprète dans ce français excellent que l'on enseigne en Chine et que les interprètes apprennent souvent à pratiquer en Afrique francophone. Vous voyez ? »
Il désignait l'hippodrome de Shanghai.
« Il s'est passé ici des choses horribles, pendant la Révolution culturelle. Horribles. Je le sais, j'y ai participé. J'étais garde rouge. »
Et, après un silence : « Il faut m'excuser. J'avais quatorze ans... »
Que racontera-t-il lorsqu'il aura soixante-quatorze ans...