La jeunesse et le naufrage de l'Autorité

Injonction faites aux psychanalystes de donner leurs opinions sur la réponse parentale à apporter aux enfants insubordonnés
...et autres lettres à l'opinion éclairée, éditées à Paris par Jacques-Alain Miller

De Paris, ce 22 janvier 2002

Rien ne me qualifie pour écrire dans une revue de psychanalyse. Quelques années allongée sur le divan de Lacan m'ont bien donné une idée de ce déménagement intérieur que représente une cure, mais il n'y a là rien à raconter de foudroyant, sinon pour témoigner qu'il fut, en ce qui me concerne, particulièrement efficace.
Cependant, j'ai une requête à présenter à tous les analystes d'aujourd'hui.
Les enfants se tuent entre eux, les professeurs sont poignardés, les voitures sont brûlées, les maisons incendiées par de très jeunes gens. Se peut-il que les analystes n'aient rien à dire sur la question de l'Autorité?
Je sais bien que le psy ne traite pas les maux de la société, mais ceux de la personne dans ce qu'elle a de plus singulier. Aussi bien, on ne leur demande pas de traiter le mal, mais d'appliquer leur discernement, leur érudition et la pratique de leur discipline à une situation dont on conviendra qu'elle est alarmante. Qu'il n'y ait pas une voix qui s'élève dans leurs rangs pour traiter du naufrage de l'Autorité, y compris dans ses aspects positifs car je suppose qu'il y en a plusieurs, pour dire si c'est une grande nouveauté dans l'histoire ou un petit accès de fièvre qu'il ne faut pas surestimer, bref que le corps des psychanalystes reste muet devant ce qui m'apparaît à moi comme la matrice de grands malheurs, me surprend.
La moitié de la jeunesse roule sans frein. Où vat-elle, sinon dans le mur ?

ÉLUCIDATION N° 1

Je voudrais entendre sur ce sujet une parole simple, claire, où l'on me dirait par exemple pourquoi un enfant de sept ans n'obéit plus à son père et bat sa mère, si cela se soigne ou constitue simplement un moment de l'évolution comparable à la grève des gendarmes, se mettant soudain à narguer eux aussi l'Autorité... Dans ce cas ne serait-on pas fondé à s'en féliciter plutôt qu'à s'en inquiéter... On assisterait à la marche vers plus de liberté.
Je n'en crois rien, mais peu importe ce que je crois. Ce qui importe, c'est la réaction que suscitera l'ensemble de ces comportements d'insubordination avec leur cortège de violences, de classes ingouvernables, de viols, de voitures incendiées, d'adolescents meurtriers. La réaction à cet ensemble menaçant est inévitable.
Or, on ne peut pas bâillonner les gendarmes, ou les internes quand les pauvres petits se déclarent fatigués — ce qui entre parenthèses doit être la première fois dans l'histoire de la médecine ! Mais dès qu'il s'agit des enfants et des adolescents ou des très jeunes gens, principaux « fauteurs de troubles » et de plus en plus nombreux parmi les délinquants divers, on peut tout se permettre. On va tout se permettre, ou en tout cas tout essayer dans l'ordre de la répression, non parce que les gouvernants seront méchants ou bêtes, mais parce qu'il y a une formidable demande de la population.

En quoi cela concerne-t-il les psychanalystes, me direz-vous?
J'imagine que plusieurs d'entre eux ont parmi leurs patients des hommes ou des femmes perturbés par la conduite de leurs enfants, de la simple insolence à l'héroïne en passant par le vol, puisqu'ils volent presque tous. J'imagine qu'ils ont quelques idées sur la réponse qu'un « bon père », une « bonne mère » doivent donner à ces conduites. J'imagine que même s'ils n'ont jamais été confrontés personnellement ou dans le cadre de leur pratique avec des parents « d'enfants perdus » d'aujourd'hui, cela leur dit quelque chose. « Il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark », et ce ne sont pas les enfants. Mais alors quoi ?
Je voudrais que les psychanalystes ne se cachent pas, sur ce sujet, derrière leur petit doigt.

Mardi, octobre 29, 2013
Élucidation