Parcours de vie de Marie Curie. Hommage à la femme.
« Marie Curie est la seule personne que la gloire n'ait pas corrompue », disait Einstein. En quoi donc était-elle faite? En femme. La réponse peut paraître courte mais personne ne fut plus représentative de son sexe que cette belle Polonaise aux yeux gris, timide et brusque,femme d'orgueil, de passion et de labeur, qui fut actrice de son temps parce qu'elle eut l'ambition de ses moyens et les moyens de son ambition, la bonne combinaison. L'ambition de Marie Sklodowska, fille de Josef, modeste professeur de chimie et de mathématiques à Varsovie, était immense. Elle voulait tout apprendre, tout savoir, tout découvrir des secrets de la matière, avec l'immense foi de son siècle dans le progrès. Ses moyens: la mémoire, le pouvoir de concentration, le talent des mathématiques, et par dessus tout la certitude de sa propre valeur. Mais les choses étant ce qu'elles étaient, Marie Curie n'aurait jamais dû réussir dans ses entreprises. Un: les filles n'avaient pas accès à l'université en Pologne. Deux: Josef Sklodowski était trop pauvre pour payer des études à Marie et à sa sœur Bronia à Paris. Mais les deux sœurs conclurent un pacte: Marie s'engagea comme gouvernante d'enfants chez les riches, et y resta quatre ans pour financer avec son salaire les études de Bronia. Quand celle-ci fut médecin, ce fut le contraire.
Un autre savant, le Britannique Rutherford - celui qui a découvert que les atomes se désintègrent spontanément disait d'elle à leurs collègues: « Madame Curie est une personne difficile à manier. Elle présente tous les avantages et les inconvénients d'être une femme.» On peut présumer en effet qu'aucun homme ne se serait obstiné à chercher dans les minéraux à teneur d'uranium un nouvel élément, étant donné les conditions de cette recherche. Tout le monde connaît l'histoire du petit laboratoire miteux, obtenu par Pierre Curie pour sa jeune femme à l'École de chimie, lorsqu'elle décide de consacrer sa thèse de doctorat à un phénomène observé par Henri Becquerel sur un morceau d'uranium. Elle baptise ce phénomène radioactivité. Pour trouver l'élément soupçonné, pour l'isoler, Marie passe quatre ans dans un local infect à tourner avec un immense bâton dans une cuve posée sur un réchaud, des tonnes et des tonnes de pechblende. Quatre ans. Elle tourne, elle calcule, elle note, elle tourne, elle calcule, elle note.
Elle est minée, et Pierre aussi, sans le savoir, par la radioactivité que dégage la pechblende, lorsqu'elle peut enfin écrire sur son petit carnet de laboratoire: Ra = 225,93. Le poids d'un atome de radium. C'était le 28 mars 1902. Une thérapeutique, une industrie et une légende vont naître. On ne peut imaginer ce que fut la gloire internationale des Curie - on croyait que le radium guérirait tout ! - bientôt multipliée par le prix Nobel de chimie. La gloire, et les ravages que toujours celle-ci entraîne. Leur couple résista, non sans peine. Pierre répétait: « C'est elle qui a tout fait...».
Il n'y a pas dix ans qu'on l'admet. Dans le Grand Larousse des années cinquante, il n'y a pas d'entrée « Marie Curie ». Tout de même leurs conditions de travail sont devenues meilleures, il a une chaire à la Sorbonne lorsqu'il est renversé par une voiture à cheval, rue Dauphine, à Paris, et meurt sur le coup, en 1906. Marie est déchirée, comme en témoignent les notes qu'elle a laissées, mais muette. Elle accepte de succéder à son mari à la Sorbonne, mais rien de plus. Elle lui a survécu vingt-huit ans, recevant un second prix Nobel, de physique, quand elle isole un morceau du métal radium dont l'existence a été contestée. Ce doublé est rare.
C'est essentiellement d'Amérique, où elle se rend plusieurs fois, qu'elle reçoit les fonds nécessaires pour poursuivre ses travaux dans de bonnes conditions. L'Académie française lui refuse un fauteuil, lui préférant Branly. On la traite de « métèque ».
Surtout, sa liaison secrète avec le physicien Paul Langevin, marié, est révélée à la une d'un grand quotidien le Journal. Scandale. Campagne de presse où l'on dénonce « la complice d'un adultère », « le Chopin de la Polonaise » et où son expulsion de la Sorbonne est demandée. Marie, bouleversée, profondément meurtrie, s'exile en Angleterre. Elle rentre... La guerre éclate... Elle invente ce qu'on appellera « les petites Curie », c'est-à-dire des voitures équipées d'un appareil de rayons X pour aller sur le front au plus près des blessés. Elle commence par réquisitionner les voitures de ses amis et procède elle-même, avec sa fille Irène, aux examens. Elle est immensément populaire, dans le monde entier quand la radioactivité finit par avoir raison d'elle, alors qu'elle a toujours nié ses dangers et refusé de s'en protéger: le radium est son fils, il ne peut pas tuer ! Elle ne veut pas l'entendre ! Sa fille Irène, qui travaille avec elle dans son laboratoire, n'est pas beaucoup plus raisonnable. Avant de mourir en 1934, Marie aura la joie de voir Irène et son mari, Frédéric Joliot, découvrir ensemble la radioactivité artificielle. Elle a passé le flambeau. C'est une figure émouvante, parce qu'elle est forte et faible, irréductible et vulnérable, géniale et plongée dans les recettes de confiture, têtue, têtue, têtue. Une femme, quoi.
Mardi, octobre 29, 2013
L'Humanité Hebdo
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