Portrait de Raymond Aron. Hommage
Raymond Aron évoquait volontiers la formule d'Ortega y Gasset : ''Etre de gauche ou être de droite, c 'est être hémiplégique''. Et il ajoutait : ''Je ne veux pas être hémiplégique''.
Sa hauteur, sa distance vis-à-vis de ce qu'on nomme engagement devait beaucoup à sa plus vive passion : comprendre. Puis, ayant compris, expliquer. Il était essentiellement un professeur, au sens le plus noble du terme. Autrefois, dans les écoles, on appelait l'instituteur ''le Maître''. C'est en ce sens que Raymond Aron fut un maître à penser, c'est-à-dire que son enseignement visait à fournir les outils intellectuels nécessaires pour apprendre à penser la société, le monde, l'histoire, et non à fournir ce qu'il convenait de penser.
Si tant d'hommes qui furent autrefois ses élèves lui ont conservé affection et respect, quelles que soient leurs propres options politiques, c'est parce que, rétrospectivement, ils savent que jamais ils ne furent, par lui, endoctrinés, mais éclairés.
Les hommages qu'on lui rend aujourd'hui ne peuvent pas dissimuler qu'il fut cependant peu écouté. Le discours de la raison n'est jamais exaltant. A force d'évacuer les passions, il arrive que l'on se trouve en position de n'en pas inspirer.
Si Raymond Aron n'a jamais rencontré l'adhésion spontanée de la jeunesse, c'est parce que sa volonté de lucidité se heurtait au désir d'action propre à la jeunesse.
Son honneur, en particulier en 1968, est de n'avoir pas cherché à la séduire mais à continuer de lui répéter que les sociétés ne se réduisent pas à des antagonismes économiques même si ceux-ci sont puissants. Que pour gérer tout ce qui est et demeurera conflictuel dans toute société humaine, il faut une instance, le Pouvoir, que de tous les pouvoirs, c'est la démocratie qui opprime le moins, qu'il faut donc se soucier de la préserver, car elle est fragile. De cette fragilité, il avait été le témoin épouvanté dans les années 35/40.
Bien plus qu'un homme de ''droite'', il serait juste de dire que ce grand esprit fut ''conservateur'', mais toujours dressé contre l'intolérance d'où qu'elle vienne, et le totalitarisme quelle que soit sa couleur.
D'autres furent les princes de la jeunesse, de Barrés à Sartre... Raymond Aron fut, lui, un prince de l'intelligence.