Redifusion de deux grands films d'Orson Welles puis de Fellini. Et leçon de cinéma d'Orson Welles à des étudiants parisiens.
Pour peu qu'on aime le cinéma, ce lundi fut un vrai bonheur. Le meilleur film, sans doute, réalisé par Orson Welles, « la Splendeur des Amberson », suivi d'une magistrale leçon non magistrale de quatre-vingt-dix minutes données par le même Welles aux étudiants des écoles françaises de cinéma... De quoi vous réconcilier avec ce que la télévision peut vous livrer à domicile.
La veille, un reportage sur Fellini pendant les prises de vues de « Vogue la galère » (A.2) laissait un peu frustré, comme une esquisse. Là, nous en eûmes plein les yeux et les oreilles.
Le film... Vieux de quarante-deux ans, sans une ride, un style somptueux reconnaissable en cinq images, ressuscitant les sortilèges du noir et blanc... et doublé, hélas. Personne n'a donc pensé, à T.F.1, à faire pour Welles ce que l'on fit, la semaine dernière, pour Cukor ? Diffuser la version originale ?
« Vous n'y êtes pas, me dit une personne qui connaît le sérail. On n'a rien fait du tout pour Cukor. Simplement, la version doublée avait disparu. Introuvable ; alors, comme le film était annoncé, on s'est rabattu sur la V.O. » C'était trop beau, cette fugitive délicatesse...
Heureusement, les Magnificent Amberson sont vigoureux. Ils ont — presque — résisté à la barbarie du doublage, qui est au cinéma ce que seraient des lunettes vertes pour regarder de la peinture.
Quant à Orson Welles lui-même, le vieux géant barbu impotent aujourd'hui, réduit dans son pays, selon ses propres termes, au rôle de saltimbanque vivotant de travaux dont il préfère qu'on ignore tout en France (« sinon on ne m'aurait pas décoré ! »), le vieux géant barbu continue d'irradier une force vitale prodigieuse.
Autrefois, cette force était telle qu'elle pouvait indisposer comme celle du grand mistral. J'ai souvenir de l'avoir vu un soir, à Paris, rencontrant un miroir et se jetant soudain sur son reflet. Il y eut un grand bruit puis, à la place de la tête, une étoile noire dans le miroir.
Trente-cinq années ont passé depuis. L'ogre a les dents limées, mais beaucoup de choses à dire aux petits poucets qui voudraient chausser ses bottes. Et ce fut merveille de le voir, de l'entendre parlant avec eux dans ce film de leur rencontre, tourné il y a juste un an à la Cinémathèque. Expliquant, par exemple, que personne n'est obligé d'être ennuyeux pour dire des choses sérieuses. Et comme son jeune public hésitait à le comprendre, suggérant d'observer « trente secondes de silence pour méditer sur le nom de Molière, très drôle, très sérieux, jamais ennuyeux, clairement déterminé à distraire le public avec ce qu'il a à lui dire ».
Déplorant « cette décadence, la glorification du metteur en scène. Qui n'est plus le serviteur de l'acteur mais son maître. Alors que l'important, c'est l'acteur, qu'il faut aimer les acteurs, les respecter, les aider à être grands... Ce sont eux qui ont fait le cinéma ».
Se tient-il pour un maître ? « Un petit maître. Je suis un petit maître dans une forme d'art qui n'a pas encore fait la preuve que c'était un art. De sorte qu'il n'y a pas de maître. »
A-t-il bien dit que travailler pour la postérité est vulgaire ? « Oui. La postérité est une putain. La popularité sur les Champs-Élysées ou la postérité au Panthéon, c'est la même chose. On a peut-être choisi les mauvaises personnes pour les mettre au Panthéon. Il ne faut pas mêler des préoccupations de justice à la joie de travailler... C'est une telle chance de travailler... Et toute personne intelligente sait qu'il n'y a pas de justice en ce monde en quelque domaine que ce soit... »
Leçon de cinéma, d'humour, de sagesse, de dignité aussi... La fête du cinéma était là, cette semaine, et non en la soirée dite des césars, cette sauterie corporative. Avec tombola.
Mardi, octobre 29, 2013
Le Nouvel Observateur
Cinéma