En cette période de fin d'année, rediffusion de films classiques. Le rôle de la télévision est-il de bercer les contribuables ? Documents sur le chanteur Jean Sablon et Edtih Piaf.
LA TELEVISION PAR FRANÇOISE GIROUD
TELE NOSTALGIE
Joyeux Noël et Ave Maria toutes catégories : nous voilà délivrés pour douze mois. Bonne année : il faudra patienter quelques jours encore avant que soit expulsé du petit écran ce chewing-gum qui n'en finit pas d'être mastiqué. Voilà une tradition aimable, celle des vœux, que la télévision ferait prendre en grippe à un confiseur.
Pour le reste... Il y a eu de bons films, non ? C'est la troisième fois que « le Guépard » est diffusé, d'accord. Et aussi « l'Homme de l'Ouest ». La quatrième fois que passe « l'Ile au trésor ». Mais de la sorte, on ne se fatigue pas. On connaît l'histoire.
Les autres programmes... Le fauteuil était confortable, la braise encore chaude dans la cheminée, la boîte de chocolats — ou bien était-ce de marrons glacés — à portée de la main... Ce ne fut pas sans charme de glisser dans cette demitorpeur au fond de laquelle on se dit : « Pourquoi diable suis-je là au lieu d'aller me coucher ? »
Les personnes sérieuses qui ont des opinions charpentées sur ce qu'est une « bonne » télévision (celle qu'il faudrait faire, la mauvaise étant toujours celle que l'on fait), les personnes sérieuses, donc, diront que le rôle de cet instrument à la fois magique et onéreux pour les contribuables n'est pas de les bercer. Allez savoir ! Peut-être est-ce au contraire sa principale fonction sociale. Toujours est-il qu'elle l'a remplie, ces derniers jours.
Un vieux monsieur de soixante-seize ans, encore joli et tout droit, a failli nous faire fondre comme sucre dans l'eau bleue du souvenir : Jean Sablon. Notre « crooner » des années trente, que les Américains avaient baptisé « the French troubadour » et qui fut le premier à se servir d'un micro.
Il n'a jamais eu ni la voix de Sinatra ni celle de Bing Crosby. Mais dans le genre baisse-un-peu-l'abat-jour- veux-tu, main dans la main, yeux dans les yeux, lumières tamisées, musique douce, il était épatant. Et il avait un fameux répertoire, le French troubadour. « Ce petit chemin qui sent la noisette... » « Vous qui passez sans me voir... » « Je tire ma révérence... » Ça ne vous dit rien ? Ah ! jeunesse...
Il l'a chanté tout au long, ce répertoire. Enregistrement d'une représentation donnée je ne sais où au bénéfice de je ne sais qui. Rien, donc, qui révolutionne la télévision. Mais quelque chose comme un petit cadeau pas cher que Pierre Desgraupes, président d'A.2, a fait à ses contemporains.
Avant Sablon, A.2 nous avait offert Piaf. Voix plus grande qu'elle, yeux de brume, cœur innombrable, ça marche toujours, Piaf. Le noir et blanc des vieilles émissions exhumées pour la circonstance lui sied on ne peut mieux. Et quand elle chante « Mon Dieu, mon Dieu, laissez-le-moi encore un peu, mon amoureux », cela console de bien des personnes dont on se demande ce qui peut les pousser à croire qu'elles ont de l'avenir dans la voix.
Chancel l'astucieux avait composé son « Grand Échiquier » à travers Claude Lelouch, lequel achève un film consacré aux destins parallèles soudain croisés de ces deux champions, Edith Piaf et Marcel Cerdan. Si Lelouch ne fait pas pleurer Margot avec cette histoire-là, c'est qu'elle n'est plus sortable, Margot.
Entre Piaf et Sablon, il y eut Bardot, deuxième épisode. Et Grâce Kelly, Gary Cooper, Wallace Beery... Avec « la Traviata » en prime, ce fut en somme télé-nostalgie.
Mais allez donc faire rêver les Français avec le futur, de nos jours... Il y faudrait de l'imagination. Nous n'avons que des archives. Alors le passé, c'est plus sûr.
F. G.