Autour du projet de loi sur le divorce. Expose les risques et les inégalités que contient en germe ce projet. Divorce comme « maladie sociale », souvent au détriment de l'un des deux membres du couple. Besoin de protéger les enfants.
Il n'y aura jamais de divorce joyeux. Il restera toujours des hommes et des femmes qui se déchireront après s'être aimés, et qui en garderont au cœur blessure et amertume.
A ceux-là, dont la vie est provisoirement ou définitivement saccagée, aucune loi n'apportera l'apaisement. C'est un problème de personnes, et non de société. Il affecte les hommes comme les femmes.
Ce qui relève de la responsabilité de la société, en cette matière comme en bien d'autres, c'est la meilleure protection possible des faibles.
Et qui sont les faibles, lorsqu'un couple se défait ?
En premier lieu, les enfants. En refusant d'en faire l'enjeu d'une procédure, en renforçant le pouvoir qu'a le juge de décider lequel des parents est le mieux à même d'assurer leur développement, la loi élimine l'un des principaux ressorts de ces conflits interminables, où chacun des deux, acharné à prouver l'indignité de l'autre, anéantit ce qui pourrait demeurer pour l'enfant du « couple parental », une fois le mariage détruit.
L'autre aliment de ces conflits est, il faut bien le dire, d'ordre pécuniaire. Un divorce, c'est aussi la liquidation d'un contrat, de ce que chacun des deux a apporté à l'autre, et qui ne se mesure pas seulement en francs, en meubles ou en tapis.
Une femme a-t-elle renoncé à une vie professionnelle propre pour aider celle de son mari, le délivrer de tous soucis domestiques et élever ses enfants ? Ou bien, comme il est courant aujourd'hui parmi les jeunes couples, a-t-elle travaillé pour faire vivre le ménage, et éventuellement les enfants, pendant qu'il poursuivait de longues études ? Si divorce il y a, cela mérite, à coup sûr, ce qu'on appellera désormais « une prestation compensatoire ».
Mais imaginez cela : les relations du couple se sont lentement détériorées, la vie commune est devenue pénible, la femme commet l'erreur de se laisser consoler. C'est « la faute ». Le divorce peut être obtenu par le mari offensé aux torts exclusifs de l'épouse et la priver ainsi de toute indemnité financière.
Les Français, nous dit-on, tiendraient à ce que les stigmates de la faute marquent à jamais l'époux ou l'épouse coupable. Ainsi l'autre pourra-t-il se proclamer « innocent ».
Comme si nous ne savions pas que les relations humaines sont un peu plus compliquées que cela. Mais... soit... S'il faut, pour panser une blessure, que la société y mette ce baume, pourquoi s'y refuser ?
A une condition : que ce certificat de bonne conduite conjugale unilatérale ne permette pas de léser profondément l'autre, de nier que, pendant de longues années, parfois, il a donné. Et donné souvent plus qu'il n'a reçu.
Ainsi éviterait-on, là aussi, les procédures interminables, coûteuses et humiliantes, qui enveniment si bien les blessures, et qui n'ont pour objet que de prouver « la faute » de l'autre, afin de régler avantageusement les problèmes financiers.
Reste le problème des pensions alimentaires et des pensions de réversion. Il est grave pour qui et pour quoi ?
Grave pour qui : pour celles qui, travailleraient-elles, ne sont pas armées pour gagner et leur propre vie et celle des enfants dont elles ont la garde. Autant dire la majorité des femmes, aujourd'hui encore.
Grave pour qui : pour les femmes qui ne sont plus jeunes, qui n'ont jamais eu de métier, qui ne sont pas en état d'en apprendre un ou de trouver un emploi. Celles-là, à qui l'on a enseigné dans leur enfance que le but d'une jeune fille était de trouver un « bon » mari et que le mariage était synonyme de sécurité, celles-là ne sont même pas protégées par la Sécurité sociale, si elles tombent malades.
Grave pour quoi : parce que le projet de loi prévoit deux hypothèses également dangereuses pour les femmes — ou les hommes — inaptes à se débrouiller seules.
L'une est le divorce par accord. Accord qui peut être arraché au plus désarmé économiquement contre la promesse d'une pension d'autant plus confortable qu'on négligera, ensuite, de la payer.
L'autre est le divorce accordé de façon quasi automatique après une longue séparation de fait.
Ces deux formules, bonnes en elles-mêmes, peuvent avoir des conséquences réellement dramatiques, qui ne le voit ?
Certes, il est dramatique, aussi, de perdre son mari, ou de perdre sa femme. Mais, du moins, la société ne l'a-t-elle pas tué. Et quand c'est le cas — dans une guerre, par exemple — elle assume sa responsabilité financière. Dans le cas du divorce, c'est bien la société qui autorisera, par ses lois, que des femmes, et singulièrement les moins jeunes, les plus vulnérables, se retrouvent, pensions impayées, dans un total dénuement.
Celles-ci n'auront même pas le sinistre espoir, qui les tient nombreuses à refuser obstinément un divorce, de toucher, une fois veuves, la pension dite de réversion de leur mari. C'est-à-dire la part de la retraite qui revient à la veuve.
Alors, il faut être cohérent. Renoncer à réformer le divorce, voire le rendre plus difficile encore qu'en 1804, date où il entra dans la loi, ou organiser un système efficace d'avance et de recouvrement des pensions. Ce système, c'est celui dont le président de la République a demandé fermement qu'il soit mis à l'étude dans ses mécanismes. Là où il est en vigueur, 1 % à peine des versements restent à la charge de la collectivité.
Il serait, jugent certains, scandaleux que les bons ménages paient pour les mauvais, fussent-ils en détresse.
Les célibataires ne paient-ils pas — en matière d'impôts — pour les gens mariés ? Les bien-portants pour les malades ? Et tous les contribuables pour soutenir les revenus agricoles ou l'emploi chez Citroën ?
Le divorce est une maladie sociale. S'il atteint au cœur, nous n'y pouvons rien. On jouera toujours Racine. « Ariane, ma sœur, de quel amour blessée vous mourûtes au bord où vous fûtes laissée... »
Mais ce n'est pas d'amour, hélas ! que meurent les femmes — et parfois les hommes vieillissants et solitaires. C'est de non-amour. Faut-il y ajouter la misère ?
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
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