État des lieux sur une société en crise. Critique la politique gouvernementale qui tente de convaincre qu'il n'y aurait pas de sacrifices à faire.
En décembre, les Français, ou une bonne part d'entre eux en tout cas, avaient soif de sacrifices. Ah ! le pétrole nous était coupé, ah ! notre politique étrangère nous serait désormais dictée par les capitales arabes, ah ! on comptait sur notre molle lâcheté pour que nous nous jetions aux pieds des seigneurs de l'or noir... Eh bien ! non. Les Hollandais, les Allemands, les Italiens, les Belges n'allaient pas être seuls à se montrer capables de sourire dans l'adversité et d'aller à pied le dimanche. Nous voulions montrer, nous aussi, que nous étions braves, solidaires, disciplinés. Que, faute d'avoir du pétrole en terre, la vieille Europe avait du sang dans les veines et que personne ne pouvait nous en remontrer du côté de la dignité. Esclaves de l'automobile ? Pftt... Pour qui nous prenait-on ?
Pendant quelques semaines, il y eut dans l'air un peu de cette excitation et de cette détermination qui accompagnent la mobilisation des esprits et des corps lorsqu'il faut relever un défi.
Les vieux racontaient aux jeunes leurs campagnes d'hiver, et tu verras, petit, ce que c'est de casser la glace pour faire sa toilette et de pédaler à moins 12°, tiens, ça m'amusera de t'y voir un peu.
De la grande épreuve, nous sortirions frères, et dûment régénérés, loin des pompes de Satan et de l'expansion corruptrice.
Les jours passèrent. Sous un déluge de chiffres, nous n'eûmes bientôt plus rien à apprendre sur le brut et le raffiné, le schiste bitumeux, le naphta et le prix du baril en dollars.
Mais de sacrifice, point. C'est que nous avions, nous, un gouvernement. Dans sa grande sagesse, il avait su apprivoiser l'adversaire et nous protéger des turbulences qui affligeaient nos voisins, tout en profitant de la situation pour limiter la vitesse sur les routes. Grâce à quoi des centaines de vies humaines furent, nous dit-on, épargnées.
Las ! Voilà le gouvernement à terre, et la dure vérité révélée par celui qui lui a succédé. Les promesses du précédent étaient fallacieuses, ses statistiques douteuses, ses déclarations fumeuses.
Sauf à passer avril au Portugal, nous le passerons transis, tout chauffage coupé. Et la patrie a besoin de ceux qui, pieusement, mourront pour la Régie.
Objections ? On sacrifie plus aisément à une certaine idée de la France qu'à un certain équilibre de la balance des comptes ? Le défi est flou ? L'humeur n'y est plus ?
Allons, ce n'est pas Verdun. Il est vrai que ce n'est pas non plus Clemenceau. C'est le professeur Pompidou qui a prévenu mercredi sa petite classe : le premier qui rira aura la tapette.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
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