Scène imaginaire de la vie quotidienne. Dialogue entre un commerçant et deux clientes, peu après la baisse de la TVA. Avec ironie montre la vacuité de cette réforme dans le quotidien des Français.
L'objet coûtait 3 F 80.
Pendant qu'elle payait, sa compagne dit, soupçonneuse : « Et la baisse de la T.v.a. ? Tu es sûre qu'ils l'ont comptée ? — Tu as raison, dit-elle, je vais demander. »
« Juste, madame, juste, dit le commerçant. Ce que vous me devez exactement, c'est 3 F 77 centimes 233 millequelquechose. Vous les avez?,
- Quoi?
— Les 233 millequelquechose ?
— Non, mais vous pourriez rendre la monnaie, dit la soupçonneuse.
— Et avec quoi ?
— Bon, dit la première. Je suis pressée. Ça ne fait rien. Prenez 3 F 80.
— Pour que vous alliez raconter partout que les commerçants sont des voleurs et qu'on me colle une amende? dit le commerçant.
— Moi? dit la première. Je...
— Le fait est, dit la soupçonneuse, que vous pourriez très bien faire payer cet article 3 F 77 centimes.
— Et faire cadeau de 233 millequelquechose au Trésor? Ça me ferait mal, dit le commerçant. D'autant que si je répète l'opération mille fois, calculez un peu ce que ça me coûtera. 0,00233 multiplié par...
— Viens, dit l'acheteuse, on nous attend...
— Alors, disons 3 F 78, dit la soupçonneuse.
— D'accord, dit le commerçant. 3 F 78 pour madame. Vous avez l'appoint?
— Non, dit l'acheteuse,: mais...
— Alors, allez voir ailleurs, dit le commerçant. Des centimes, moi, je n'en ai pas.
— Des centimes, tout de même, cela existe, dit la soupçonneuse.
— Ça existe, oui, dit le commerçant, mais vu que ça coûte 4 centimes, il paraît, pour fabriquer 1 centime, on n'en fabrique pas. Alors, où voulez-vous que j'en prenne, moi?
— Ça ne fait rien, dit l'acheteuse. Nous sommes vraiment pressées, maintenant. Rendez-moi sur...
— Non et non, dit la soupçonneuse. Je suis sûre qu'à la banque il y a des centimes. Qu'il aille en chercher !
— Et la grève dans les banques, vous avez entendu parler? dit le commerçant.
— Décidément, vous y mettez de la mauvaise volonté », dit la soupçonneuse.
Dans la file patiente de celles qui piétinaient, attendant d'être servies, une femme cria:
« Dépêchez-vous un peu... On ne va pas rester là une heure pour les 2 centimes de madame ! Tenez ! »
Elle jeta 5 centimes à la cliente interdite, qui ramassa machinalement la petite pièce tandis que la soupçonneuse, furieuse, l'entraînait.
Alors, en montant dans la Citroën noire à cocarde dont le chauffeur tenait porte ouverte, l'acheteuse, songeuse, dit à la soupçonneuse: « Tu sais... Je me demande parfois si les Français comprennent bien tout ce que Valéry fait pour eux... »
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
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