FG évoque le manque de grandeur du roi du Maroc, Hassan II, tel qu'il s'est présenté lors de sa conférence de presse suite à la mort et la trahison du général Oufkir, l'un de ses plus proches collaborateurs.
Shakespeare ? C'est beaucoup d'honneur, messeigneurs.
Il ne suffit pas d'un roi. Ni d'un attentat. Ni d'un complot. Ni que le pied du félon lui glisse dans le sang. Il y faut aussi le style. Celui du drame marocain s'est plutôt situé, jusqu'à ce jour, du côté des bandes dessinées. Ainsi, la transcription exacte du récit fait par Hassan II, au cours de sa conférence de presse, d'une conversation avec son ancien compagnon.
Oufkir : Tiens, voilà que le président Kazafi va se rendre à Nouakchott. Si seulement je pouvais connaître son plan de vol, que penseriez-vous de lui envoyer un F 5 pour lui entrer dedans en plein désert ? Le Roi : Tu es fou. Il y aurait une enquête... On trouverait des traces de balles, de roquettes. Alors tu t'imagines le scandale international que cela ferait... C'est Tintin et le Grand Vizir. Dans Shakespeare, le roi aurait répondu : « L'Afrique n'a pas de serpent que j'abhorre plus que l'importune gloire de Kazafi, mais ma cervelle serait infectée par une plus longue conversation avec toi...» par exemple. On dira que c'est la même chose. Que l'analogie entre Oufkir et Macbeth — Ou le fidèle Iago — n'est pas une question de vocabulaire, mais de situation. Que l'impressionnant est de voir cette situation transposée au XXe siècle et dans un pays si proche de nous. Sans doute. Mais les hommes sont inséparables du langage dont ils usent, de l'articulation qu'ils donnent à leur pensée. Quand le pouvoir n'est pas au bout du fusil, il est au bout des mots. Ce n'est pas aux Français qu'on l'apprendra, eux qui ont entendu pendant onze ans un prince du verbe diaprer leur Histoire.
Peut-être, s'adressant à son peuple dans sa langue, le roi du Maroc a-t-il le génie des mots. On le lui souhaite. Pour nous qui l'avons entendu dans notre langue, qu'il connaît parfaitement, mais qui n'est pas la sienne, il n'a eu qu'une phrase à la taille de son drame : « Il ne faudra plus jamais que j'accorde ma confiance à qui que ce soit.» Il était roi, et il ne le savait pas.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique étrangère