Editorial n°1093

Sur le débat de la veille entre Debré et Mitterrand
Le spectacle, c'est vrai, est usé. Le cérémonial, trop connu. Les acteurs trop avertis des pièges du duel télévisé qui se nomme « A armes égales » pour garder quelque fraîcheur.
Ceux qui se plaignent de n'être point assez présents sur le petit écran devraient y penser : les comédiens, eux, changent de rôle. Mais les personnages de la scène politique, enfermés dans leur emploi, condamnés à se répéter, ne trouvent plus que des oreilles distraites. Un pouvoir habile offrirait aux chefs de l'opposition une tribune chaque soir. Reste que MM. Debré et Mitterrand méritaient, mardi, plus d'attention qu'ils n'en ont retenu.
Du premier, on disait autrefois, comme de Saint-Just : « Cet homme est dangereux, il croit tout ce qu'il dit. » Sa sincérité n'a pas fléchi. Il continue à parler de la France comme d'une héroïne de mélodrame, longue chevelure blonde, alternativement captive de soudards et délivrée par un preux chevalier.
En face de lui, précisément, se tenait l'un de ces soudards potentiels, et il le lui a crié, qu'il ne la lui donnerait pas, sa France. C'est bien assez qu'il soit obligé de laisser M. Giscard d'Estaing y porter la main.
Mais quand il dit : « La France étant ce qu'elle est, c'est-à-dire profondément satisfaite de l'évolution des choses... » il parut soudain se parodier.
M. Mitterrand a parcouru, lui, le trajet inverse. A force de parler du socialisme, il a cherché ce qu'il mettait sous ce mot-là, il a trouvé, et maintenant il y croit.
Ce n'est pas le marxisme : « Nous ne reconnaissons aucun philosophe qui commanderait nos analyses. » Ce n'est pas le communisme : « Nous ne voulons pas, nous, d'un système communiste. » Ce pourrait être le « socialisme suédois » cher à J.-J. Servan-Schreiber, où, a dit M. Mitterrand, « les structures capitalistes n'ont pas été détruites, mais jugulées ; où le plus riche est le plus proche du plus pauvre ». Mais, comme il faut faire avec ce qu'on a, c'est-à-dire des Français pour citoyens, et un Parti communiste pour allié, le socialisme selon M. Mitterrand serait plutôt quelque chose comme le christianisme appliqué. Belle doctrine, en vérité. Tout le problème est de savoir s'il est vraiment plus facile de faire du christianisme avec des chrétiens que du socialisme sans être suédois.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express