Editorial n°1066

Sur la guerre qui fait rage entre l'Inde et le Pakistan
Il y a quelques mois encore, il était de rigueur, dans certains milieux, de s'en aller quérir en Inde la paix des hauteurs, le sens caché de la vie, la spiritualité qui nous fait si grand défaut de Sarcelles à Saint-Tropez, la sublime liberté, enfin, des hommes que n'aliènent ni la compétition, ni la consommation, ni la productivité.
Et puis voilà que l'Inde tue, en guerre avec le Pakistan pour des motifs que chacun peut comprendre, mais qui ne semblent pas relever précisément de la spiritualité. Plutôt de la compétition, de la sous-consommation, de la sous-productivité. Encore une illusion perdue pour les petits enfants de Katmandou.
De la terrasse où se trouvent MM. Chou En-lai et Brejnev, elle doit être excitante à soutenir, cette guerre. J'avance ma dame, tu retires ton fou, je ne prendrai pas ta tour...
A la place où se trouvent Mme Indira Gandhi et M. Yahia Khan, la situation est, sans doute, sensiblement moins confortable. J'avance mes divisions, tu retires les tiennes, je prends ta capitale, tu enfonces mon front... Mais c'est un jeu vieux comme le monde. Le plus ancien, avec la copulation, auquel se livrent en permanence les hommes. D'où l'on peut conclure que, s'il se perpétue, c'est qu'il ne va pas sans une manière de plaisir.
A la place où nous sommes, on ose à peine le dire au lieu de pleurer comme il conviendrait sur les nus et les morts. Mais il faut une fameuse dose d'hypocrisie pour conjurer des belligérants de faire trêve au nom de principes humanitaires, quand on a passé le plus clair de sa propre Histoire à faire la guerre. N'en auraient-ils pas le droit, eux aussi ?
Simplement, nous avons changé de braquet. Les sous-développés en sont encore aux armes à feu. Les pays industriels leur abandonnent l'usage de ce matériel obsolescent pour se consacrer, entre eux, à la guerre économique. Une guerre cruelle, aussi. Sans étendard et sans héros, qui ne fait pas de cadavres, mais qui fait parfois des chômeurs. Et il faut n'avoir jamais cherché du travail pour sous-estimer le malheur et l'humiliation de celui dont on n'a pas besoin, qui est en trop, dont on ne veut pas, dont on ne veut plus.
Néanmoins, mieux vaut être un chômeur vivant qu'un soldat mort.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express