Réflexions sur la différence entre besoin et désir. Sur la capacité des hommes à avoir des désirs exponentiels
Retrouvé sain et sauf dans les montagnes où il s'était égaré, le cardinal Martin a déclaré, au micro d'Europe 1 :
« J'ai passé trois jours et deux nuits sans manger et sans boire, ce qui prouve que, dans notre société, en général, nous sommes trop bien soignés. »
Prononcée dans ces circonstances, la petite phrase du cardinal éclaire ce qui sépare le besoin du désir. Du foie gras, pour quoi faire ? Et même du bœuf mode... De l'eau chaude, une automobile, la télévision, de la crème à raser, des draps, pour quoi faire ? Ces accessoires et quelques milliers d'autres, dont nous sommes nantis, sont aussi superflus, quand on y songe, que les fusées Apollo. Et que dire de Concorde !
Dès que l'on sort de l'ordre du besoin, brutal et concret — au-dessous d'un certain nombre de calories quotidiennes et d'un certain temps de rêve, donc de sommeil, on dépérit — rien ne mérite d'être dit « nécessaire ». Rien ne justifie qu'on le produise ou qu'on le consomme. Rien, sauf le plus puissant des moteurs : le désir.
L'intéressant est que, dans les sociétés développées, où les besoins de tous sont comblés et au-delà, les désirs deviennent de plus en plus sophistiqués, subtils, immatériels, aussi difficiles à exprimer qu'à satisfaire.
Des automobiles, on sait comment cela se fabrique. Mais des hommes égaux et libres, comment fait-on cela ? Un « niveau de vie », on sait, depuis vingt-cinq ans, comment on le double, triple, quadruple, décuple. Mais de la joie de vivre, où s'en procure-t-on ? Et de la considération ?
Quand les besoins élémentaires assouvis font place aux désirs des hommes « trop bien soignés », rien n'est réglé, au contraire. Peut-être est-ce même le moment où les véritables complications commencent. Nous y sommes.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
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