FG fait référence à l'émergence soudaine sur la scène médiatique des mouvements féministes américains. Analyse leurs revendications et les relations entre hommes et femmes en France qui selon elle explique que ce mouvement aura peu de portée en France.
On sourit. Ou on ricane. On constate que les meneuses sont pour la plupart d'une affligeante laideur, ce qui fournit une explication commode à une affaire incommodante. Et puis, on passe.
L'insurrection nationale organisée la semaine dernière par des femmes américaines est très généralement accueillie par les Français comme un sujet négligeable.
Ils ne se sentent menacés ni par l'explosion, chez eux, d'une telle révolte, ni par ses effets : l'impuissance sexuelle. Cette impuissance qui, selon l'anthropologiste Lionel Tiger, finira par affliger tous les Américains si leurs femmes n'y prennent garde.
Dans une déclaration à « Time », Tiger supplie les féministes de comprendre que « le mâle humain est très fragile » de ce côté-là. L'homme primitif a toujours dominé sa partenaire, explique-t-il. C'est un besoin absolu. Si cette relation se renverse, il est atteint dans sa virilité. Alors, ne cherchez pas à lui dérober ses pouvoirs, hochets compris, sans savoir ce que vous mettez en péril.
À quoi les plus agressives parmi les nouvelles féministes, le groupe de Boston où milite la fille du banquier David Rockefeller, ont déjà répondu : « Le sexe, nous en avons marre. Pour nous, ce n'est pas un besoin essentiel. Et puis, à la limite, on peut toujours s'arranger. A nous le pouvoir. »
Dialogue troublant, on en conviendra, même si le groupe de Boston est extrémiste par rapport aux autres mouvements féminins. Ceux-là ne trouvent pas l'amour « débilitant et contre-révolutionnaire », pas du tout. Mais ses militantes exigent de façon quasiment pathétique ce qu'il faut bien appeler de la considération.
La considération — qu'il ne faut pas confondre avec la déférence mécanique — il n'y a pas de revendication plus explosive, quand elle commence à se manifester. Et il n'y en a pas de plus difficile à satisfaire, parce que cela suppose un changement dans les relations humaines. En ce sens, c'est une revendication purement révolutionnaire, parmi les autres vertigineuses turbulences qui agitent les Etats-Unis.
Nous n'en aurons ici qu'un écho — ou une parodie — très assourdi. Intriguées et rétractées tout à la fois, toujours réservées à l'égard des mouvements féminins quel que soit leur objet, les Françaises ont peu de goût pour la guerre des sexes.
Leur répugnance devant les coalitions féminines dirigées contre les hommes a une cause profonde que l'on nous permettra de trouver réjouissante. C'est que, dans leur majorité, les Français aiment les femmes et les Françaises aiment les hommes, « aimer » signifiant, cela va de soi, tout autre chose que « se servir de... » à quelque usage que l'on pense.
On pourrait dire en d'autres termes qu'ils ne se font pas peur réciproquement. C'est là une posture psychologique beaucoup moins répandue qu'il n'y paraît dans le reste du monde. Peut-être les Russes, qui savent si bien faire l'amitié, la tendresse, l'abandon affectueux, sont-ils les plus proches de nous à cet égard.
La nature des relations entre hommes et femmes, en France, pour autant qu'on ose généraliser, est relativement harmonieuse. Il se peut bien que le Français soit un tyran, comme tout homme, mais c'est un tyran sournois, dont la domination reste subtile, du moins dans les rapports personnels.
Dans ce domaine, les choses se passent, semble-t-il, comme si, au fur et à mesure de l'évolution de la psychologie féminine, les hommes s'y adaptaient, consentant à une sorte de processus de décolonisation supportable parce qu'il est très lent, et préférant le gouverner plutôt que le subir.
S'il existe ici très peu de clubs féminins et autres ligues dont les Etats-Unis ont toujours été féconds, pour des raisons historiques, d'ailleurs, c'est parce que les femmes n'ont pas eu à répondre à une ségrégation, à un ostracisme affiché.
Les Français n'ont pas cru plus nécessaire de protéger les femmes que de se protéger d'elles. Sait-on seulement, même parmi les gens les mieux informés, qu'il existe en France des clubs à l'anglaise inaccessibles aux femmes ? Je l'ai découvert en me faisant jeter, un jour, hors d'un endroit fort luxueux, situé place de la Concorde, où un innocent, diplomate de son état, m'avait priée à déjeuner, considérant sans doute que la direction de L'Express effaçait ma tare originelle.
Mais le maître d'hôtel la perçut, lui, aussitôt. Me surprenant, il me regarda comme s'il trouvait une souris dans un coffre-fort. C'était drôle. Sévèrement rappelé au règlement de son club, le diplomate plaida et fut étourdissant, l'objet du délit ahuri de se découvrir en infraction dans ce harem au masculin, le valet intraitable. Vade rétro, Satana, dit-il en d'autres termes.
Un ambassadeur écumant sur les talons, Satan s'en fut, riant, oreilles pointues, pieds fourchus et son mouchoir pardessus.
A la même époque, Betty Friedan, auteur de « La Femme mystifiée », prenait d'assaut, à New York, le bar du Plazza dont l'accès est strictement réservé aux hommes. Là-bas, le geste, symbolique, avait un sens. C'était le début de la croisade. Il eût été burlesque, dans un club parisien aucunement représentatif de l'état de la société française.
Les vrais problèmes sont ailleurs, et ils ne manquent pas, dont la solution ne mettrait nullement en péril « le mâle très fragile » pour lequel Lionel Tiger demande grâce.
L'organisation de la ville, des horaires, l'égalité des salaires, la retraite à 55 ans pour les unes et la possibilité d'entrer ou de rentrer dans la vie active à 40 ans et d'y demeurer longtemps pour les autres, la formation professionnelle des jeunes filles, la révision de la fiscalité pour les femmes chefs de famille... C'est pour cela qu'il faut lutter, et durement, d'une lutte qui justifierait à elle seule une existence, tant quelques résultats pratiques modifieraient la trame d'innombrables vies quotidiennes. Des vies dont les hommes n'ont même pas idée. Même quand il s'agit de leur propre épouse.
Mais pour atteindre ces résultats, il faut obtenir l'adhésion et la coopération des hommes, de quelques hommes, les moins « fragiles ». Car le pouvoir est entre leurs mains.
Rien ne se fera, en France, pour améliorer les conditions réelles et non fantasmatiques de la vie féminine, contre les hommes, mais avec eux.
Sauf à avoir quelque petite névrose personnelle à satisfaire, il n'est nullement certain qu'il y ait à le regretter.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
condition féminine