Projet de mariage

Réflexion sur le divorce et le mariage tel qu'il est aujourd'hui conçu. Propose l'instauration d'un bail de mariage renouvelé tous les cinq ans... le mariage : « cette invention qui donne la force de supporter à deux les ennuis que l'on ne connaîtrait pas
Faut-il vraiment rendre le divorce plus aisé ? Des théologiens étudient les conditions dans lesquelles l'Eglise pourrait admettre la dissolution du mariage. La question, soulevée au Concile, sera vraisemblablement évoquée, dans quelques jours, au Synode.
Des hommes de loi postulent pour une juridiction semblable à celle que la Grande-Bretagne vient d'adopter : à partir du 1er janvier, le divorce sera accordé automatiquement après deux ans de séparation. Après cinq ans, si l'un des deux refuse à l'autre sa liberté. Il sanctionnera un échec, et non une faute.
Peut-être y arrivera-t-on en France. Toujours les mœurs précèdent les lois, qui finissent, lentement, par les entériner. Aussi ose-t-on à peine suggérer que les lois pourraient avoir quelque influence sur les mœurs.
Imaginons, cependant, que pour aménager le divorce, un législateur hardi commence par s'interroger sur la façon dont le mariage est et sera vécu par ceux qui ont aujourd'hui moins de 30 ans. Le mariage civil, s'entend.
Nous savons à peu près comment on se mariait autrefois : pour la vie. Un jeune homme n'y songeait pas avant d'avoir fait sa situation, comme on disait. Les parents, dont l'adhésion ne pouvait pas être esquivée, avaient un souci très vif d'éviter les unions disparates. Milieu social, éducation, convictions politiques et religieuses étaient généralement en harmonie.
Toutes les études contemporaines sur le mariage montrent que les choses ont beaucoup moins changé qu'on ne le croit. La société française n'est pas devenue plus mobile parce que les jeunes gens se croient libres de leur choix. L'âge moyen du mariage n'a guère varié. Quand les garçons prennent femme avant d'être fixés professionnellement, c'est parce qu'ils achèvent de longues études. Et on se marie toujours « pour la vie ».
Seulement, la vie, aujourd'hui, c'est long. Au XIXe siècle, un couple sur deux ne célébrait pas le quinzième anniversaire de son mariage. En 1969, un jeune couple a de bonnes chances de s'engager dans cinquante années de vie commune. C'est ahurissant, quand on y pense. On dira que personne n'y pense. Sans doute.
Il reste ce dont chacun se souvient, le cas échéant : que le divorce offre une issue désagréable mais non déshonorante à une union malheureuse. Et qu'au divorce peut succéder un nouveau mariage, satisfaisant et fécond. Si malheur il y a, il n'est plus inéluctable de s'y résigner. Il est aussi plus difficile de s'y résigner quand on est en droit de penser qu'avec un autre, ou une autre, on reconstruira « pour la vie ». Et serait-on celui qui souffre le plus de la séparation, il n'est plus permis, d'une certaine manière, de tenir l'autre emprisonné à perpétuité dans un triste mariage. Une morale, différente sans doute, est née qui s'oppose à cette main-mise sur autrui.
Ce progrès, car c'en est un, a un corollaire, l'insécurité. La plus médiocre des épouses, la plus sotte, la plus incapable, était assurée, une fois mariée, de le demeurer. Le plus volage des maris, le plus tyrannique, le plus maladroit, savait qu'il ne retrouverait jamais la maison vide. Querelles, discussions, reproches, bouderies, aventures extra-conjugales ne mettaient pas en question, sauf dans des circonstances exceptionnelles, le mariage. On ne se mariait pas pour être heureux, mais pour être marié.
Aujourd'hui, nul ne sait où passe le point de rupture, où se situe le seuil de la tolérance au malheur que l'on éprouve, ou à celui que l'on inflige. Plus l'indépendance économique sera à portée des femmes, moins elles « fermeront les yeux », comme on le recommandait à leurs mères, sur leur agacement, leurs désillusions ou leurs peines. Plus elles seront capables d'assurer cette indépendance, moins les hommes se sentiront obligés de les supporter décevantes, ou pesantes.
La solidité du mariage, fût-il maussade, a fait place à la fragilité. Et on a tout lieu de penser que cette fragilité ira croissant, qu'il sera de plus en plus difficile de vivre, et de préserver, un long mariage tôt conclu.
Dès lors que l'insécurité tend à faire partie du mariage, que se passerait-il si elle était institutionnalisée, tout en protégeant ce qui doit être protégé, c'est-à-dire les jeunes enfants ?
Supposons ceci :
Article 1 : aucun divorce ne peut être prononcé aussi longtemps qu'il y a au foyer un enfant de moins de 5 ans. C'est bien le moins que l'on puisse « sacrifier ».
Article 2 : le mariage devient un bail, reconduit par tranches de cinq ans. A la fin de chaque tranche, les deux époux doivent renouveler leur engagement. La séparation peut être légalement acquise par simple dénonciation de l'un des deux intéressés à l'échéance du bail. Entre temps, elle ne peut pas être obtenue, sauf circonstances particulièrement graves.
Qu'arriverait-il ?
En premier lieu, quelle que soit l'aigreur de la mésentente, on la supporterait tout autrement, en sachant que le tunnel aura une fin. Et les premières années de la vie des enfants, les plus importantes pour leur développement futur, en seraient moins exposées.
En second lieu, on peut penser que la conduite d'un homme, d'une femme se sachant menacés d'entendre l'autre dire simplement : « Je ne renouvelle pas mon contrat... » serait sensiblement modifiée. De part et d'autre, on prendrait peut-être un plus grand soin de garder vivant ce qui vous a unis. A l'insécurité insidieuse du mariage d'aujourd'hui se substituerait, à intervalles réguliers, la certitude que si l'autre persiste, c'est qu'il tient à vous. Qu'il en a délibéré avec lui-même en pleine liberté. Qu'il vous a, de nouveau, choisi. Si, pour sa part, on le souhaite, on fera quelque effort pour l'y inciter. Cela s'appellerait le mariage par respect mutuel.
Oui, il se passerait bien des choses, et bien des changements dans les postures psychologiques, si chaque couple était en situation de se dire aujourd'hui : « En 1974, il faudra qu'il (ou elle) ait envie de renouveler notre contrat. » Ou bien : « De toute façon, en 1974 je serai libre. » Que l'on y songe un peu, chacun pour soi...
Mais tout cela est fou. Comme le mariage. Cette invention qui donne la force de supporter à deux les ennuis que l'on ne connaîtrait pas si l'on ne s'était pas mariés.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express