DCVWBX, et après ?

S'intéresse à l'organisation la Mensa qui réunit dans le monde les esprits les plus brillants, après avoir passé avec succès le test de Cattel. Mais déplore que ces intelligences ne soient pas tout simplement utilisées à des fins plus vastes.
Quatre mille cent dix personnes se tiennent, en Europe, pour plus intelligentes que les autres. Et quinze mille aux Etats-Unis.
Parce qu'elles en doutaient, ou, au contraire, parce qu'elles se sentaient un peu seules sur ces sommets, elles se sont affiliées, dans leurs pays respectifs, à une organisation internationale, la Mensa.
L'intelligence passe pour n'avoir pas de frontières. Sans doute en restait-il cependant entre les membres des divers groupes nationaux : depuis la semaine dernière, un comité coordonne les intelligences réfugiées au sein des sections européennes de la Mensa.
Pour annoncer cette bonne nouvelle, le secrétaire général international de l'organisation et ses délégués européens avaient convoqué la presse parisienne au Club des Arts et Métiers. Hélas ! de presse, point, sans que l'on sache qui est, en France, allergique à l'Intelligence révélée, des journalistes ou de leurs lecteurs.
Deux cents Français Ms (membres de la Mensa) au regard de trois mille sept cents Anglais... Serait-ce qu'il y a comme un défaut de recrutement ? La Mensa, il est vrai, est née en Grande-Bretagne, après la guerre. Née des propos tenus à la radio par le titulaire de la chaire de psychologie à l'université de Londres, Sir Cyril Burt.
Sir Cyril, se félicitant de l'extension prise par les sondages d'opinion propres à révéler les vues des masses, remarqua qu'il y aurait néanmoins quelque intérêt à explorer en même temps, sur les mêmes sujets, l'opinion des esprits supérieurs, et à mettre en évidence des différences éventuelles d'attitude.
Un avocat, Roland Barril, mort depuis, s'intéressa passionnément à cette idée et réunit autour d'une table (d'une « mensa », comme le savent dès la sixième les jeunes latinistes) un échantillonnage d'intelligences pures, choisies sans considération d'origine sociale, de race, d'âge, de connaissances acquises.
A l'origine, il s'agissait essentiellement de fournir aux sociologues et aux psychologues matière à réflexion sur les divergences d'opinion entre les « intelligents » et... les autres, sur l'abolition de la peine de mort, ou l'expédition de Suez.
Mais qu'est-ce que l'intelligence ? Passant outre aux définitions philosophiques, les fondateurs de la Mensa se voulurent scientifiques. L'intelligence pure, c'est une mécanique capable de donner 161 réponses justes au test de Cattell. Aujourd'hui, les choses étant ce qu'elles sont, 148 réponses justes font l'affaire. Deux individus sur cent seulement y parviennent, parmi lesquels on trouve, membres de la Mensa, des hommes de toutes professions et aussi des enfants, un pompier qui lit Platon dans le texte et une spécialiste de la danse du ventre, ces deux derniers ayant obtenu le plus haut « quotient intellectuel ».
Le test de Cattell, l'un de ceux que l'on fait passer dans l'armée et dont disposent les psychologues, contient des questions telles que : « Quelle est la lettre qui continue la série DVCWBX... ? »
Il n'est, certes, pas bon signe de s'en tirer avec moins de cent réponses justes. Mais l'ennui est que, selon les termes un peu vifs d'un membre britannique de la Mensa, en désaccord avec le secrétaire international de l'organisation : « Un haut quotient intellectuel ne garantit malheureusement pas contre la stupidité. »
Il garantit seulement, semble-t-il, que l'on appartient aux 2 %. Encore est-il délicat de s'en faire gloire. Entre Ms, on peut certes s'aborder en se disant :
« 152 ?
— Non. 166 !
— Phfmoomph ! Félicitations ! Et le petit ? »
Mais selon un Ms désabusé, « se savoir plus intelligent que les autres, c'est bien ; le proclamer, c'est trop ! » Alors, quoi faire ? Et être Ms pour quoi faire ? Quelques éclats agitèrent, l'année dernière, les Ms anglais, à
propos des buts actuels de la Mensa.
Société de pensée à la recherche d'un esprit, voire d'une conscience ? Club pour autodidactes esseulés qui, moyennant une modeste cotisation annuelle, se donnent l'illusion de constituer une élite intellectuelle ? Mais qu'est-ce qu'une élite qui s'interdit de prendre position sur quelque problème que ce soit et d'engager ce faisceau de belles intelligences dans l'action ?... Lieu de rencontre où, du frottement des esprits, naissent des étincelles d'autant plus belles qu'elles demeurent sans emploi ? Entreprise thérapeutique pour grands timides qui prennent soudain confiance en eux en découvrant qu'ils font partie des 2 % ? C'est tout cela, un peu, la Mensa. Et, plaisanterie
mise à part, que l'on s'associe pour jouer du cornet à piston ou pour faire marcher, de concert, des mécaniques intellectuelles, si l'on s'en trouve bien...
Nous le savions déjà : l'exercice de l'intelligence est d'abord un art d'agrément. Qui la possède peut aussi s'en servir à des fins plus vastes. A condition d'en connaître le mode d'emploi. Hélas, le Créateur ne nous livre pas toujours, en même temps que le « quotient intellectuel » invariable, dont nous sommes équipés dès notre plus jeune âge, la notice explicative sur la façon d'utiliser la mécanique, et les boulons qui l'articulent sur nos canaux affectifs.
Les intelligences pures tournent parfois à vide. Et pas seulement à la Mensa. Cela leur arrive aussi à l'Ecole polytechnique.
161 ? Bravo. Maintenant, un 58 va vous expliquer pourquoi votre femme pleure...

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express