La mort du troisième

Mort de Montgomery Clift
LA MORT DU TROISIEME

Il avait les plus beaux yeux du monde et cet air traqué des hommes qui ne vieilliront jamais. Pendant les années 50, il fut l'un de ces merveilleux acteurs américains qui semblaient ignorer la présence d'une caméra et que l'on vit, sous tous les uniformes, dans des films de guerre où il finissait presque toujours par être tué. Alors, dans la salle, on pleurait.
Cette fois, Montgomery Clift, le héros de « Tant qu'il y aura des hommes », d' « Une place au soleil », du « Bal des maudits », le petit frère en desespoir de Marilyn Monroe, est mort pour de bon. A 45 ans.
Son organisme était ruiné par l'alcool et intoxiqué à la suite d'un terrible accident : en sortant d'une soirée chez Elizabeth Taylor, qui avait été plusieurs fois sa partenaire, le jeune premier le plus coté du moment, trois fois sélectionné pour l'Oscar, avait jeté, un soir de 1956, sa voiture contre un arbre. C'était un suicide manqué. Ce fut un calvaire réussi. Montgomery Clift fut totalement défiguré et le chirurgien qui finit par lui reconstituer un visage artificiel dut travailler sur photos.
Un peu moins beau, un peu plus pathétique encore, il revint à l'écran dans « The Misfits » (« Les Désaxés »). Mais Hollywood ne l'aimait pas, parce qu'il n'aimait pas Hollywood, ne voulait pas y vivre, méprisait l'argent et refusait plus de films qu'il n'en acceptait. Bientôt, les assurances refusèrent de couvrir le risque de maladie ou d'accident quand il tournait. Et, après l'échec de « Freud », les producteurs n'osèrent plus l'engager, malgré sa popularité. Toute la puissance d'Elizabeth Taylor, à qui le liait une amitié passionnée, fut insuffisante pour les obliger à céder. Il n'avait pas travaillé depuis trois ans lorsque Raoul Lévy lui confia, cet hiver, le rôle principal de « L'Espion » (« The Defector »), où Macha Méril fut sa partenaire et qui sortira en France à l'automne. Elle raconte avec émotion comment cet homme secret, reclus, réussit au prix d'un effort surhumain et de piqûres incessantes à s'abstenir de boire pendant les prises de vues. « C'était un mort vivant, dit-elle, dont toute l'énergie se concentrait sur son travail, où il était encore merveilleux. »
Il eut encore la joie d'apprendre que Liz Taylor venait de l'emporter et que, s'il le voulait bien, il serait son partenaire, en septembre, sous la direction de John Huston. Il voulait. Mais, à 45 ans, il était arrivé au bout de lui-même.
Des trois « misfits », Marilyn Monroe, Clark Gable et Montgomery Clift, il ne reste plus aujourd'hui que les fantômes.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express