Analyse d'une nouvelle revue « Eros », éditée à New York. Critique acerbe
« La revue la plus luxueuse du monde... Son tirage sera strictement limité... Nous vous avons choisi pour vous proposer un abonnement (25 dollars par an, pour quatre numéros)... »
Un certain nombre de personnes ont eu, au vu de cette lettre-circulaire, la curiosité de se procurer un numéro de « la revue la plus luxueuse du monde », « Eros », éditée è New York. Nous l'avons entre les mains. Luxueuse, c'est incontestable. « Eros » se présente sous la forme d'un album cartonné de 95 pages. Sur la couverture, en papier glacé, la reproduction de seize photos en couleurs de Marilyn Monroe, les dernières qui aient été prises, six semaines avant sa mort. Quatre photos sont marquées d'une croix rouge. En langage de métier, ces photos présentées en bandes se nomment des « contacts ». Ce sont les épreuves, en petit format, sur lesquelles on choisit, en les barrant au crayon rouge gras, les clichés les meilleurs, ceux qui seront agrandis.
On ouvre : sur la page de garde, un immense gros plan de Marilyn Monroe. Puis, papier blanc glacé, belle typographie, c'est le sommaire :
Aphrodisiaques : la pharmacopée de l'amour p. 20
La licorne, comme symbole phallique p. 28
« Sexercise » p. 64
Diable !...
D'autres titres encore, qu'il est simplement impossible de reproduire ici.
Page 2, une pensée en exergue (de Marilyn Monroe) :
Je ne l'ai jamais bien compris, cette histoire de symbole du sexe. Mais si je dois être un symbole de quelque chose, j'aime autant que ce soit du sexe plutôt que de l'une de ces autres choses pour lesquelles les gens ont des symboles.
En face, un gros plan (de Marilyn Monroe).
On tourne la page : un gros plan (de Marilyn Monroe) accompagné d'un texte (sur Marilyn Monroe).
On tourne : sur une double page, huit photos (de Marilyn Monroe).
Puis deux photos pleine page (dont l'une, torse nu, les mains dissimulant les seins, qui est peut-être la plus belle qui ait jamais été reproduite). Deux photos, donc, de Marilyn Monroe. Et encore deux pages de photos, puis deux pages de photos, puis deux pages de photos, puis deux pages de photos, d'un goût douteux celles-là, puis un ultime gros plan. Admirable. De Marilyn Monroe. Et, en face, seule, sur une page noire, une phrase : « Elle aurait pu s'en sortir avec un peu de chance. » Signé Arthur Miller. Il s'agit, pour le cas où vous ne l'auriez pas compris, de Marilyn Monroe.
Mais si émouvants sont ce visage et ce corps, si tendre ce regard, si authentique fut sa détresse, que même une exploitation systématique du rayonnement de cette jeune femme morte, aux fins les moins avouables, ne parvient pas à produire autre chose que beauté.
Ensuite... Ensuite, on a peine à y croire.
Encore une fois, même les titres de certains de ces articles théoriquement scientifiques ou artistiques ne peuvent être imprimés ici. Le clou, c'est — en photos - la leçon de culture physique (« Sexercise ») destinée à l'entrainement quotidien. L'entrainement à quoi ? Non. Pas à monter les escaliers sans perdre souffle.
Tout cela traité avec sérieux, même lorsque l'humour intervient dans un titre : « comment les hérissons font ? Très attention ! ».
Ce qui frappe, dans la « revue la plus luxueuse du monde » ce n'est pas que des gens avisés aient songé à tirer sur la plus vieille corde du monde pour en faire de l'argent. Et l'Amérique n'avait pas encore été découverte que l'érotisme était depuis des siècles source d'art ou de vénalité.
Ce qui frappe, c'est plutôt le non-érotisme de cet « Eros », son côté clinique, préparation militaire pour citoyen - et citoyenne - de bonne volonté.
Ni licencieuse, ni graveleuse, ni troublante, la revue la plus luxueuse du monde, consacrée à Eros est simplement comique. Mises à part, certes les effigies de Marilyn Monroe. Mais ici Thanatos restitue à Eros ses sortilèges.