À propos des prochaines législatives. Critique au vitriol du gaullisme
Dans la 5e circonscription de la Seine, un candidat indépendant fort actif informe ses électeurs éventuels, par la voie de son journal, que depuis quatre ans, il est intervenu au Parlement en faveur des artistes de variétés, de la musique de la Garde républicaine, des animaux contre lesquels s'exercent des cruautés, des squares et des jardins, des aveugles, des femmes seules, de la marine de guerre et des clochards. Non. Erreur. Les clochards, il promet d'agir, s'il est réélu, pour les éliminer. La circonscription est habitée par des gens bien.
Sur la politique qu'il a soutenue, par ses propres votes, sur celle qu'il soutiendra, cet homme prudent ne s'étend pas : il est, dit-il, pour la civilisation chrétienne et la réconciliation des Français.
Démoralisant ? Mais non ! Il y en aura toujours, de tels défenseurs de la chrétienté et des artistes de variétés réunis ! L'important, c'est qu'il y en ait d'autres.
Ou les chercher ? A l'U.N.R ?
« Ne dispersez pas vos voix. Vous appelons tous ceux qui ont voté « oui » au référendum à nous faire confiance. Avec, à sa tête, Jacques Soustelle, l'U.N.R. n'a qu'une ambition : ni à droite ni à gauche, seulement dans l'intérêt général servir la France. Comme Jacques Soustelle, faites confiance au candidat dont la fidélité à de Gaulle, dans le passé, garantit la même fidélité dans l'avenir... »
Le député qui a sollicité en ces termes, lors des dernières élections, les suffrages de ses électeurs, se représente cette semaine dans la même circonscription de Seine-et-Marne.
« L'U.N.R. n'acceptera pas que soit remis en cause le destin français de l'Algérie. »
C'était dans la Loire, 2e circonscription. Il récidive.
« Nous, U.N.R., sommes partisans résolus, avec le général de Gaulle, d'une intégration progressive du peuple algérien dans la citoyenneté française à part entière. »
C'était dans la Seine, 8e circonscription. Il est toujours candidat.
En voulez-vous encore des professions de foi U.N.R.? En Gironde, ou en Maine-et-Loire ? Dans le Nord ou dans les Landes ? Fidèles, c'est un fait. Mais pas à eux-mêmes. Il suffit de s'entendre sur le sens des mots. Fidèles au pouvoir en place, fidèles à la trouille, fidèles à la pâtée, au bout d'une laisse. Ils n'ont pas de conviction : ils ont une profession. Ils sont « ouistes ».
Que l'on soit ou que l'on rêve de devenir député ouiste, cela peut se concevoir. Question de souplesse dans l'échine. Mais pourquoi serait-on électeur U.N.R. ? Pour fournir une majorité inconditionnelle à un chef de Parti, Charles de Gaulle, dans le cadre du Parlement ?
Le gaullisme de l'avenir, c'est, dans l'hypothèse la plus optimiste, la technocratie de droite, la consolidation systématique de toutes les structures sociales favorisant le règne et l'enrichissement des classes possédantes, les fruits de l'expansion économique mis au service de la force militaire par priorité sur l'Education Nationale que la stabilité gaulliste, soit dit en passant, a confiée successivement à neuf ministres avec les heureux résultats que l'on sait.
Alors, comment voter ? Oh ! je vous entends bien. Ce n'est pas encore cette fois-ci que le vent déracinera les vieilles souches, quelle que soit leur couleur d'origine.
Mais enfin, la fin de la décolonisation a déchiré le tissu parfois douloureux d'équivoque qui a lié des hommes de gauche à la pire droite, parce qu'ils redoutaient de voir suspecter leur patriotisme, tandis que, dans leurs votes, des hommes de droite rejoignaient la gauche, parce qu'ils ne concevaient pas que l'intérêt de la France puisse être confondu avec celui de M. de Sérigny et la civilisation chrétienne avec l'usage de la torture.
Voilà que, lentement, les choses se remettent en place, chacun rejoignant sa famille politique et de Gaulle se retrouvant le chef naturel de la famille de droite.
Les hommes politiques, lorsqu'ils parviennent à disposer d'un certain pouvoir, ne sont jamais que l'expression d'une force plus grande qu'eux s'ils s'imposent, à tel ou tel moment, c'est qu'ils sont portés par cette force, qu'ils la canalisent et non qu'ils la commandent.
Les forces qui lèvent dans le pays sont encore sans visage, sans contour précis. Ce sont les électeurs qui commenceront de les incarner, dimanche, dans les hommes qu'ils choisiront.
En votant pour un homme nouveau, on peut se tromper. Lui-même peut se tromper sur ses facultés de résistance à la corruption, à l'usure, à l'ivresse de faire carrière. Mais, pensez-y dimanche — certains candidats anciens ne vous offrent même plus la chance de vous tromper.