Un jeu dangereux

À propos du concours lancé par L'Express récompensant les 5 meilleures réponses à la question « Ce numéro est-il, oui ou non, le meilleur depuis 8 ans ? ». Quelle image leur serait renvoyée ?
Les responsables d'un journal sont souvent les moins bien placés pour en juger.
Ils savent ce qu'ils veulent faire et vers quoi ils tendent. Mais qui leur dira si le résultat coïncide avec leurs objectifs ?
Ils peuvent, bien sûr, interroger les chiffres. S'ils sont parvenus, dans un délai raisonnable, à équilibrer leur budget en préservant leur indépendance de toute puissance extérieure, morale ou financière, visible ou occulte, si le nombre de leurs lecteurs est, stable ou en expansion, leur entreprise est saine.
C'est bien. C'est nécessaire. Et après ? Un journal n'est pas un grand magasin. Même ceux qui n'ont qu'un but, « vendre du papier » comme on dit dans le jargon professionnel, se trouvent, qu'ils le veuillent ou non, soumis à la terrible règle de la presse. Le produit qu'ils mettent en circulation n'est jamais inoffensif. Il réveille ou il endort, il cravache ou il caresse, il stimule ou il abrutit, il entretient, dans l'esprit, la lumière ou la nuit.

D'innocentes apparences

Un Journal est toujours toxique.
Comment agit « L'Express » ? C'est la question à laquelle quelques milliers de lecteurs ont répondu, en participant au concours lancé le 8 juin.
Nous leur demandions : ce numéro est-il, oui ou non, le meilleur depuis 8 ans ? Accessoirement, nous leur annoncions qu'une 3 CV Citroën récompenserait les auteurs des cinq meilleures réponses.
C'était, sous d'innocentes apparences, un jeu dangereux, provocant, dont les résultats auraient pu révéler un échec, quelque soient, d'autre part, le développement et la croissance du journal.
Les critiques, nous ne les redoutions pas. Elles sont toujours fécondes, qu'elles portent sur le fond ou sur la forme.
Elles cernent les faiblesses, elles indiquent les écueils, elles signalent les fautes, elles nous tiennent les yeux ouverts, comme nous souhaitons, de notre côté, tenir à nos lecteurs les yeux ouverts.
Ce sont les louanges, inévitables étant donné la question posée, qui risquaient d'être démoralisantes.
Non que nous y soyons, les uns et les autres, insensibles. «L'Express» ne compte pas de saints parmi ses collaborateurs. Mais nous sommes
— pourquoi ne pas l'avouer ?
— plus ambitieux que vaniteux.
Dès la naissance de ce journal, nous voulions des lecteurs, mais pas n'importe lesquels. Nous voulions les informer, mais pas les déformer. Nous voulions les convaincre, mais pas les endoctriner. Nous voulions nous adresser à des hommes, à des femmes libres et, dans toute la mesure de nos moyens, contribuer à développer le goût de la connaissance et l'indépendance de jugement chez ceux que nous saurions attirer.
Quelle image de « L'Express » la consultation provoquée par notre concours allait-elle nous renvoyer ?
Lisez la lettre que nous publions ci-contre. Ce que dit la jeune femme qui l'a rédigée, beaucoup d'autres l'ont exprimé.
Ces lettres-là signifient, pour ceux qui font « L'Express », que si parfois le chemin est dur, obscur, semé d'obstacles, il faut s'obstiner à le suivre, le plus fidèlement, le plus rigoureusement possible.
Nous essayerons.

Des lettres réfléchies

Le dépouillement de l'abondant courrier reçu a permis de distinguer, d'autre part, trois catégories de réponses :
1) Les formules vives, brèves, brillantes. Bonne leçon de modestie quand on fait métier d'écrire.
2) Les appréciations favorables qui portent non sur un numéro mais sur un aspect jugé propre à « L'Express » :
en particulier, la publication annuelle des comptes d'exploitation du journal.
3) Les lettres réfléchies, longues et dont les auteurs se souciaient fort peu de triompher dans la compétition. Beaucoup l'écrivent noir sur blanc. Ce petit concours les a conduits à analyser les raisons de leur attachement à « L'Express ». Ils se refusent à juger tel ou tel numéro du journal pris à part. Ce qu'ils considèrent, c'est l'entreprise dans son ensemble.
Nous croyons qu'elle a un sens. Qu'ils le croient aussi, qu'ils l'éprouvent ainsi, qu'ils aient pris la peine de nous
écrire pour dire qu'ils la jugent utile et ce qu'ils en attendent, nous leur en sommes réellement, sincèrement, reconnaissants. Nous voilà mieux armés, de leur sympathie, de leur vigilance, de leur chaleur.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express