Dialogue imaginaire entre le président Kroutchev et un membre du clergé. Intervention du général de Gaulle. Met en lumière un fonctionnement parallèle entre l'Eglise et l'Etat soviétique.
K. — Très heureux de vous connaître.
K. — Enchanté de vous rencontrer.
— M'avez-vous excusé, Monsieur le Président, de mon involontaire grossièreté ?
— Je vous en prie, Monsieur le Chanoine. Je sais ce que c'est. Ordre du chef de cellule ?
— A peu près. « Perinde ac cadaver », comme disait Ignace.
— Le secrétaire général est au courant ?
— Sait-on jamais ?... En tout cas, il ne se mouillera pas.
— Ce n'est pas son rôle.
— Je vous trouve bien indulgent, Monsieur le Président.
— Nullement, Monsieur le Chanoine. Je suis réaliste. Votre parti tient bon depuis près de 2.000 ans. Le renouvellement des militants se fait mal, l'indice de fréquentation aux réunions de groupe est en baisse, d'accord. Mais les cotisations restent satisfaisantes, et les ordres sont exécutés. La preuve. On ne réussit pas une telle entreprise en la dirigeant avec des sentiments.
— Mais l'enseignement du Christ, Monsieur le Président...
— Soyons sérieux, Monsieur le Chanoine. L'enseignement du Christ et celui de Lénine, nous avons vous et moi le droit de les prêcher et d'espérer qu'ils seront un jour entendus. Mais ne les mêlons pas à cette petite opération stratégique.
— Vous me permettrez de regretter, justement que, dans cette affaire, mon parti, comme vous dites, ait perdu du terrain.
— Vous me permettrez de m'en réjouir. Une question, Monsieur le Chanoine... Qu'écrirait-on, dans votre presse, si un député-maire communiste, après avoir invité le Président des Etats-Unis à visiter sa ville, s'y dérobait au dernier moment ?
On écrirait — excusez-moi — qu'il est aux ordres de Moscou.
— Et pourquoi n'écrit-on pas que vous êtes aux ordres de Rome ?
— Mais on l'écrit, Monsieur le Président !... Quelle presse lisez-vous donc ?
— La même que vous, Monsieur le Chanoine.
— Quelle erreur, Monsieur le Président !
— Mais quel enseignement, Monsieur le Chanoine !
— A mon tour, une question. Croyez-vous en Dieu ?
— Vous jurez de ne le répéter à personne ?
— Comptez-y.
— J'y crois. Mais pas pour faire pousser le maïs dans l'auge des cochons. Et vous ?
— J'y crois. Mais depuis le temps qu'on Le prie pour que règne la paix, je Le tiens pour inefficace de ce côté-là.
— Ah ! Monsieur le Chanoine, votre secrétaire général a eu raison de vouloir empêcher notre rencontre. Nous finirions par nous entendre.
— Je le crains, Monsieur le Président.
— Si vous êtes battu aux élections, venez en U.R.S.S. Je vous trouverai une bonne petite paroisse.
— Vous ne connaissez pas encore les Français. Ils m'auraient fait grief de vous recevoir ; ils feront grief à ceux qui me l'ont interdit. Maintenant la droite votera pour le curé, et la gauche pour le persécuté. Vodka ?
A cet instant de la conversation, une très haute silhouette surgit de l'ombre :
— Messieurs... Je regrette, mais je ne puis vous laisser plus longtemps ensemble sans risquer que le bruit de votre entrevue vienne aux oreilles de mon état-major. Les choses étant ce qu'elles sont, vous me comprendrez.
— Nous comprenons, mon général.
La très haute silhouette et les deux très courtes silhouettes disparurent dans la nuit. Ainsi s'est terminée l'entrevue secrète qui s'est déroulée, dit-on, dans la nuit du lundi 28 au mardi 29, dans la région de Dijon. Les noms des protagonistes n'ont pas été révélés.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique