Publication du livre de Merry et Serge Bromberger « Les 13 complots du 13 mai », sur la crise et la peur panique qui a permis à de Gaulle d'accéder au pouvoir
Que l'on se félicite ou non des nouvelles institutions, il faut lire le récit que Merry et Serge Bromberger viennent de publier sur « Les 13 complots du 13 mai ». Ouvrage instructif — humiliant mais instructif — qui pourrait porter en sous-titre : « Retiens-moi, ou je fais un malheur. »
Peut-être y a-t-il, aujourd'hui encore, 65 ou 70 % de Français satisfaits d'avoir recueilli le salaire de la peur. Parmi les mécontents, beaucoup le sont, en outre, pour de mauvaises raisons. Et si les choses tournaient dans l'avenir comme certains le prédisent, avec l'autorité des analystes dont le pronostic n'a jamais été démenti, comme or la regrettera, l'époque où, tous comptes faits, nous n'étions pas malheureux sous de Gaulle !
Mais cela, c'est une autre histoire. La prochaine.
L'histoire que content les frères Bromberger, c'est celle d'une panique. Encore le terme est-il trop beau. Il doit y avoir en argot un mot bien expressif, pour dire cela.
D'un côté, des groupuscules d'agités de la mitraillette, de mal adaptés, d'excités professionnels, de conspirateurs brouillons, se haïssant les uns les autres.
De l'autre, un ministre de la République, responsable de la Défense nationale, usant ouvertement de sa situation pour renverser le régime, et entretenant son comploteur particulier. « Un voyou » déclareront successivement le colonel Ducourneau et le général Salan, un voyou aujourd'hui député, qui « prêchait ouvertement à Alger la sédition de l'armée », au vu et au su du ministre résidant, lequel ne peut même pas obtenir son rappel dans la métropole, tant on ricane lorsqu'on y fait état de complots.
Il est vrai que le chef du service des écoutes, lui, truque les feuilles d'écoute.
Mais puisque les ministres truquent les comptes...
« J'ai voulu connaître la réalité de l'effort de guerre : 1.325 milliards », dit aujourd'hui M. Pflimlin. On disait alors : 300 milliards. Maintenant on ne dit plus rien.
« Les gouvernements précédents, y compris le mien, n'ont pas pris au sérieux le danger des organisations fascistes. Je fais mon mea culpa », déclarera M. Guy Mollet dans la nuit du 17 mai, avant de paraître « épouvanté par le poids de ses responsabilités ». Il était bien temps.
Et c'est devant « les voyous » que les chefs de l'armée, malheureuse mais non révoltée, se mettent au garde-à-vous. De mauvaise grâce, mais ils s'y mettent. C'est à eux que le soir du 13 mai, Massu, soupçonné cependant d'être trop « fidèle à la hiérarchie », obéit. Qui sont-ils donc, à Paris, pour que, possédant théoriquement tous les pouvoirs, ils n'osent même pas donner un ordre à ceux qui les acceptent de n'importe qui à Alger ? Et qui en demandent ! Et qui n'attendent que ça, un ordre. Oui. Mais quel ordre ?
On ne donne pas d'ordre quand on tremble. Il n'est jamais plaisant de voir trembler des hommes qui se jugeaient capables de gouverner, puisqu'ils en ont revendiqué l'honneur. Mais que penser d'hommes qui tremblent devant rien ? Devant des mots.
La Quatrième a cru se suicider en avalant du cyanure. Elle s'est étouffée avec du sucre en poudre.
Les messages secrets émis par Radio-Alger ? Haute fantaisie. C'est l'actuel ministre de l'Information qui s'amusait à les diffuser, pour « intoxiquer » Paris.
La photo, prise dans un maquis, d'un général qui se vante d'avoir réuni 15.000 hommes ? Intoxication.
Le plan des opérations militaires prévues dans la métropole, dont un exemplaire tombe miraculeusement entre les mains du chef de l'Etat ? Intoxication. Il a été remis par un officier particulièrement chargé d'affoler l'Elysée et Matignon.
Les légions de paras qui devaient tomber du ciel d'Alger « dans six heures » ? Intoxication. Il y en avait 1.500, auxquels devaient se joindre des civils déguisés.
Et le colonel Gribius, désigné comme chef d'opérations à Paris, pour diriger le recrutement et l'intoxication, éprouve « surprise et amertume » lorsqu'il trouve auprès des hauts cadres militaires en métropole « une réserve qui le déçoit. Ceux-ci redoutent une scission de l'armée en deux clans, s'inquiètent de la suspicion où la nation tiendra plus tard une armée mexicaine, se tiennent dans l'expectative ».
Voilà devant quelles forces dérisoires l'ancien régime a capitulé. Voilà sur quel cheval boiteux le général est entré dans la ville. L'avait-il choisi ? Sur ce point, M. et S. Bromberger renseignent incomplètement.
M. Pierre de Chevigné, le seul, parmi les responsables, qui semble avoir conservé son sang-froid pendant la crise de mai, et qui ne passe pas pour un sentimental, aurait déclaré, parlant des hommes d'Alger :
« J'admets le coup de poker, l'intoxication. Tout est permis en politique. Mais je n'admets pas le chantage à la nation, aux 400.000 familles qui ont un enfant en Algérie. Dire : « La guerre est finie si Pflimlin s'en va », c'est un mensonge. La paix aura été reculée. »
Fausse paix, faux paras, faux gouvernement, faux révolutionnaires, fausse fraternisation, faux gaullistes (on en comptait 110 à Alger)... Il n'y avait donc rien d'authentique dans cette affaire ?
Si. Il y avait la guerre.
Les conjurés sont devenus députés, ministres, présidents. La guerre n'est pas devenue la paix. C'est ce qu'ils voulaient : l'entreprise a donc doublement réussi.
Maintenant, il faut que la, guerre dure puisqu'elle fonde leur pouvoir.
Dans sa dernière allocution, le général de Gaulle a menacé les turbulents — et les silencieux — de les renvoyer dans leurs foyers. Bien sûr. Pourvu que ce ne soit pas le contraire...
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
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