La lettre de ''L'Express''

Relate la visite qu'elle reçut quelques mots auparavant d'un tueur à gages chargé d'assassiner Pierre Mendès France
Une belle histoire. Une vilaine histoire. Une sale histoire, cette affaire Lacaze. Où l'on appréciera pleinement que M. Edmond Michelet — et point un autre U.N.R. — soit garde des Sceaux.
En fera-t-on dans quelques mois une complainte populaire ?
C'était un p'tit enfant
Abandonné par sa môman.
Quand il eut vingt ans
Sa marâtre, une mégère,
Envoya à la guerre
Le pauvre Jean-Pierre.
Las ! Il en revint !
Alors ce fut le médecin
Qui le prit en main :
L'héritage, c'est mon affaire
Arrière ! s'écria Jean-Pierre,
Dis-moi d'abord qui est ma mère
Homme au cœur de pierre, etc.
Ou se chantera-t-elle, cette belle histoire, sur l'air de la « Carmagnole » ?
La IVe avait ses « ballets roses », délicats divertissements entre hauts personnages de l'Etat et jouvencelles obstinément mineures, dont la justice aura sous peu à connaître. La Ve s'en est réjouie trop vite : elle a déjà ses ballets noirs.
Gardons-nous d'apprécier s'il est pire de trop aimer les petites filles ou de faire assassiner les garçons : au-delà d'une certaine frontière, celle qui passe non entre les anges et les diables mais, plus humainement, entre les honnêtes gens et les malhonnêtes gens, le détail devient anecdotique.
Il est tout de même assez savoureux que certains députés aient axé toute leur campagne électorale contre leurs adversaires en les accusant d'être — ô horreur ! — divorcés, et que ces défenseurs de la moralité publique se retrouvent aujourd'hui compagnons de parti avec des...
Mais comment faut-il les appeler ? Des tueurs ? C'est leur faire de l'honneur.
Pour accomplir certaines besognes, il faut un genre de courage.
Il y a quelques mois, l'un de ces héros aux mains sales issus de dix-huit ans de guerre me fit la surprise d'une visite personnelle. Après quelques travaux faciles, agréables, et petitement rémunérés, exécutés en Afrique du Nord, qu'il énumérait tout tranquillement, il avait été chargé, toujours pour des motifs hautement patriotiques, de continuer à Paris. Or, la victime désignée — un homme politique — ne parvenait pas à lui inspirer de l'antipathie. Mieux : le garçon s'était pris à suspecter le désintéressement du patriotisme affiché par ses maîtres.
Ce qu'il venait proposer ? C'était tout simple.
D'en « descendre » un à son tour, si on voulait bien lui en donner le pressant conseil outre un modeste viatique.
« Allons-y, disait-il, allons-y. D'ailleurs, si vous ne marchez pas, c'est eux qui vous auront un jour. »
Ce fut une étrange conversation. Comment faire entrer dans la tête de ce bouillant personnage armé jusqu'aux dents que ce qui nous séparait de ses « patrons » politiques, c'était d'abord cette façon de concevoir la victoire sur l'adversaire ?
Il n'y avait apparemment jamais pensé. C'est que depuis l'âge de seize ans, il n'en avait pas eu beaucoup l'occasion, tout au contraire.
Mon tueur, si j'ose dire, parut cependant ébranlé. Il disparut, perplexe ; il revint, il repartit. Enfin, un soir, il reparut rayonnant : il avait trouvé un emploi.
« Vous n'avez jamais su mon vrai nom, dit-il. Le voilà. J'ai confiance, hein, j'ai drôlement confiance ! Parce que si les autres remettaient la main sur moi... »
Je ne l'ai jamais revu, mon tueur, et j'ignore s'il a repris du service. En tout cas, je le préfère à ses « patrons ». Il finira peut-être en prison. Eux pas. Eux ne se mouillent pas. Ils payent. En espèces ou en « protections ». Ce ne sont pas les moyens qui manquent, surtout lorsqu'on recrute parmi des hommes qui ont eu de petits désaccords avec la justice civile ou militaire.
Pas plus que les parlementaires de la IVe n'étaient tous lubriques ou prévaricateurs, nos nouveaux messieurs ne sont tous acoquinés à des tueurs, ou eux-mêmes condamnés de droit commun. Combien il y en a ? Des documentalistes appliqués sont en train d'en dresser la liste. Elle est courte ; vraiment.
Et ceux qui méritent d'y figurer sont au vrai gaullisme ce que les vilains de la IVe sont au régime démocratique : des abcès.
Mais un corps sain produit-il des abcès ? Ce qui s'est engouffré, à la suite du général de Gaulle, dans le sang du pouvoir, n'a pas fini de percer. Les mêmes électeurs qui n'engageraient pas un domestique sans certificats ont été moins regardants avant d'engager leur représentant à l'Assemblée : ils vont être servis.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express