Victoire aux élections de Jacques Chaban-Delmas et Jacques Soustelle. Cite les stoïciens en guise de chute...
Les gaullistes de gauche sont pulvérisés.
Cela est triste mais sain. Leurs vains efforts dissipent l'illusion selon laquelle on peut, depuis le 13 mai, être gaulliste contre Soustelle.
Clostermann, Barberot... Le général de Gaulle a laissé son fonctionnaire londonien des Forces Françaises Libres enfoncer ses anciens compagnons d'armes, sans leur dire un mot, sans leur faire un signe. On les gardera, s'ils y consentent, pour les cérémonies officielles où ils font bon effet, avec leurs décorations. Mais le gaullisme, en 1958, ce sont les hommes du 13 mai qui en reçoivent le brevet d'en haut. Ce ne sont plus ceux du 18 juin. Voilà du moins un point éclairci.
Un autre demeure obscur.
Qu'à dit le général de Gaulle en apprenant, dimanche soir, le résultat des élections ?
Racontera-t-on plus tard « le mot de de Gaulle » comme on raconte le mot de Cambronne ?
C'est le seul commentaire de l'événement que l'antenne d'Europe N°1 n'a pas été en mesure de diffuser. En revanche, les auditeurs ont eu le privilège d'écouter un excellent numéro comique : celui des Frères Jacques.
« Bonjour Jacques...
— Bonsoir Jacques...
— Je suis tellement, tellement heureux de votre succès, cher Jacques...
— Et moi du vôtre, cher Jacques...
— Dites-moi, Jacques...
— Oui, Jacques...
— Vous rentrez à Paris demain, Jacques ?
— Mais certainement, Jacques...
— Bon. Eh bien ! alors, nous nous verrons mardi. Et, encore une fois, toutes mes félicitations, cher cher Jacques... »
Ainsi M. Jacques Soustelle, à Lyon, et M. Jacques Chaban-Delmas, à Bordeaux, exécutèrent-ils,
pour la plus grande joie des auditeurs, un gracieux duo. On n'arrête pas le progrès.
Pétulant, M. Chaban-Delmas ne parvenait pas à s'arracher du micro où il venait de déclarer, commentant ses propres résultats :
« Je vous avoue qu'après tant d'années d'effort et de combat (sic), il est doux au cœur de - et patati et patata... »
Qu'avait-il donc redouté ? Un échec ? Ma parole, il se prend pour Mendès France.
Il y aura toujours de la place, dans toutes les Chambres et dans toutes les antichambres, pour ce caressant papillon, butinant de gouvernement en gouvernement, se posant le temps d'un portefeuille, complotant le temps d'un dîner.
A dire vrai, M. Soustelle, qui n'est pas un sot, ne parut pas autrement satisfait d'exhiber tant d'intimité avec cet exubérant collègue en renouveau national, dont la voix n'exprimait pas sans doute toute la déférence souhaitable.
Quoi ! c'est lui le patron maintenant... On croit toujours que ces choses-là n'arriveront pas. Et puis voilà. Elles arrivent.
« Le gros matou » — c'est ainsi qu'affectueusement ses amis le nomment — va-t-il tout de suite sortir ses griffes ? Rien n'est moins certain. Alors, on croira encore que ces choses-là n'arriveront pas. Et puis elles arriveront.
Mais à quoi bon y penser ? « Nous n'avons que le présent à supporter. Ni le passé ni l'avenir ne peuvent nous accabler, puisque l'un n'existe plus et que l'autre n'existe pas encore », professaient les stoïciens.
Nous ne saurions trouver, pour l'heure, de meilleurs maîtres.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique