Dialogue imaginaire au sujet du référendum sur le changement de Constitution.
Alors... Oui ou non ?
— Je me pose encore la Question.
— Ne faites pas la mauvaise tête. Pourquoi diriez-vous non ?
— Parce que je ne crois pas que j'approuve la nouvelle Constitution.
— Vous prétendriez-vous en mesure d'en juger ?
— Je prétends seulement qu'on me demande mon avis. Il me faut donc bien essayer de comprendre.
— Ce que de Gaulle propose ne peut pas être mauvais pour le pays, voilà ce que vous avez à comprendre.
— C'est là une attitude religieuse, pas une attitude politique !
— Au diable la politique !
— Ah ! vous avez raison.
— Enfin !
— Au diable la politique. Je ne voterai pas.
— Comment ? Voter est le plus impérieux des devoirs !
- Alors, il me faut d'abord savoir quelle politique j'encourage.
— C'est pourtant clair.
— Vous disiez cependant tout à l'heure que la Constitution...
— Laissez la Constitution. En disant oui à de Gaulle, Vous dites non aux communistes.
— C'est intéressant. Et c'est tout ?
— C'est l'essentiel.
— Quand je souffre d'une rage de dents, je m'intéresse médiocrement aux remèdes miraculeux contre le mal de mer.
— Je ne comprends pas.
— Je veux dire que la France n'a pas « mal au communisme » en ce moment, mais à l'Algérie. Et que quand bien même vous élimineriez tous les communistes, aucun de nos problèmes n'avancerait d'un pas vers une solution. En terminerions-nous avec la guerre ? Exporterions-nous davantage ? Construirions-nous ? Formerions-nous plus de maîtres ? Disposerions-nous de devises ? Cesserions-nous de vivre à la remorque des subsides américains ?
— Reconnaissez que dans le passé, l'opposition communiste au Parlement...
— ...à laquelle s'ajoutait l'opposition gaulliste...
— ...a paralysé toute politique française.
— Depuis trois mois, il n'y a plus de Parlement. Le général de Gaulle est tout-puissant. Qu'y a-t-il de changé ? Le régime des postes en Algérie. N'avait-il donc que ce vaste dessein en s'emparant du pouvoir ?
— Que savez-vous de ses desseins ?
— Rien.
— Alors !
— Alors, puisque la Constitution n'est qu'un prétexte dont le contenu dépasse le jugement du commun, puisque les desseins du général ne doivent pas être livrés au commun, quel élément de décision me reste-t-il pour lui dire oui ou non ? Ses actes.
— Ne sont-ils pas de nature à inspirer confiance ?
— Non. Je regrette de le dire : non. Je vois que le général Faure a reçu un commandement en Algérie. Et pas le général de Bollardière. Je vois que le colonel Bigeard est indésirable et que le lieutenant Rahmani est toujours en prison.
— L'armée... c'est un sujet si délicat...
— Soit. Je vois qu'on ressuscite une Commission de Sauvegarde, mais que les bourreaux de Maurice Audiri, dont les noms sont connus de tous, ne sont pas inculpés.
— Les tortures... Pourquoi en parler ?...
— Soit. Je vois que sur un froncement de sourcils de M. Soustelle et de ses amis, le général file doux et ramène à 5 francs l'augmentation du prix du litre d'essence en Algérie, alors qu'une majoration de 30 francs avait été décidée en conseil de cabinet. Me direz-vous aussi : l'argent, n'en parlons pas ?
— Nous sortons du sujet
— Je crains, au contraire, que nous n'y soyons. Je vois qu'il accepte de n'être plus devant les véritables maîtres du pouvoir, qu'un prestigieux bouclier...
— Qui êtes-vous pour juger des actes du général de Gaulle ?
— Un électeur.
— Il se passera bien de votre approbation.
— Sans doute.
— Et il aura la mienne avec celle de...
— ...99,5 % des Français ?... N'anticipez pas. Ce sera pour le prochain référendum.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique intérieure