Trace un parallèle entre deux destins de vie de deux hommes qui viennent de mourir.
Deux Français notoires viennent de glisser dans la mort, après avoir vécu tout près d'un siècle.
L'un, Georges Rouault, était fils d'ébéniste. L'autre, Marcel Cachin, fils de gendarme. Leurs routes, parallèles, ne se sont jamais croisées.
L'un et l'autre ont témoigné pour les deux faces de notre temps. Mais l'un a dit la permanence de la douleur, et que la détresse humaine ne peut se dissoudre qu'en Dieu. L'autre a dit la permanence de l'espoir, et que la misère humaine ne peut se réduire que par la volonté des hommes.
Entre les deux se situe la masse de ceux qui cherchent, et qui n'ont pas trouvé.
Rouault fut l'incarnation même du créateur, solitaire et libre. Et de tous les créateurs le plus solitaire et le plus libre : le peintre reconnu grand, celui qui s'exprime, par le truchement des plus simples instruments dans un langage universel sur lequel ne pèse aucune censure.
Le peintre est sans doute le dernier parmi nous qui respire hors de l'univers concentrationnaire de l'usine, du magasin, du bureau, hors de la férule du progrès.
Marcel Cachin fut l'incarnation de l'homme engagé tôt dans les affaires publiques. Et de tous les hommes publics le moins libre : celui qui milite dans un grand parti.
Le moins solitaire aussi : celui qui croit à la solidarité dans la lutte et à la fraternité dans l'avenir.
Qui fut le plus naïf ?... Qui fut le plus heureux ?... Qui sut le mieux trouver l'équilibre entre le sentiment de la futilité de l'effort et celui de la nécessité du combat ?...
L'un et l'autre ont accompli un long trajet à travers quatre-vingts années qui furent les plus sanglantes du monde, Rouault protégé derrière la forteresse de son œuvre où il vécut enfermé, Cachin offert à tous les coups, les donnant et les recevant. Ils sont arrivés au bout de leur route, également solides et drus, sans que leur foi respective ait apparemment jamais été ébranlée.
L'important — et le difficile — ne serait-il que de croire, quoi que l'on croie ?
S'il fallait choisir entre ces deux destins... Mais on ne peut pas choisir d'être Rouault. Tandis que l'on peut choisir de travailler parmi les hommes, pour les hommes.
Françoise Giroud
P.S. — J'ai commis une erreur en indiquant, la semaine dernière, que les lecteurs de « L'Humanité » n'avaient pas été informés de la version officielle donnée au bombardement de Sakiet. Le quotidien communiste a publié, dans son numéro du 10 février, les déclarations du général Salan, de M. Chaban-Delmas, et le communiqué d'Alger. Ce sont les déclarations respectives de l'ambassadeur de Tunisie, M. Masmoudi, et du général de Gaulle après l'entrevue de Colombey qui n'ont pas été rapportées par « L'Humanité ».