Subvention d'Etat pour la presse
« Il y a des deniers publics dont les Français ont le droit de connaître l'emploi et le droit de le contrôler par leurs représentants et par leur presse. Aussi exigeons-nous très fermement en vertu de ce droit que soient publiés, avec les noms des bénéficiaires, les chiffres de toutes les subventions accordées. »
Ainsi s'exprimait, mardi matin, dans « L'Aurore », M. Robert Bony.
Comment ne pas souscrire entièrement à ces propos vigoureux ? Comment ne pas remarquer avec M. Bony que « la manne est octroyée avec une incroyable légèreté » puisqu'il suffit de trois coups de clairon pour qu'un ministre défasse ce qu'il avait fait et réclame au producteur du ballet « Le Rendez-vous manqué » les deux millions et demi qui lui furent versés ?
Mais nous n'avons pas cité assez scrupuleusement M. Robert Bony, et chacun sait ce que l'on peut faire dire à un texte tronqué. Reprenons donc :
« Aussi exigeons-nous très fermement... que soient publiés, avec les noms des bénéficiaires, les chiffres de toutes les subventions accordées aux titres divers de la propagande culturelle ».
Bien sûr, ce n'est plus tout à fait la même chose.
« Le chapitre des subventions ouvre, pour les amis, des possibilités insoupçonnées », écrit-il encore.
Nous ne le savions pas, mais puisque cela est, ces « amis » n'évolueraient-ils que dans les bureaux où l'on se préoccupe de la propagande culturelle ? Voilà qui serait singulier.
Des subventions seront accordées, en 1958, aux
entreprises de presse par exemple (1 milliard), aux producteurs d'engrais (deux milliards sept cents millions), aux producteurs de lait (800 millions), au blé (22 milliards 600 millions), au cinéma (un milliard huit cents millions), aux compagnies de navigation (trois milliards deux cents millions), etc.
Pas le moindre « ami » parmi tout ce monde-là ? Et il y a la betterave, et il y a les commandes de l'armée... Que dire du coton ? Et des voyages effectués par certains au moment de la session de l'O.N.U ? Pas le moindre « ami » ?
On dit tout ? Soit, mais alors, disons tout. Nous ne l'exigeons pas. Nous préférerions que, fût-ce avec d'inévitables bavures, les affaires de l'Etat soient gérées de telle sorte que le plus humble contribuable puisse avoir confiance dans les décisions de ceux qui en ont la charge. Nous ne l'exigeons pas, mais nous serions heureux, oui, heureux d'être plus amplement informés sur les avantages que l'on retire à faire partie de ces « amis » du pouvoir pour lesquels s'ouvrent des « possibilités insoupçonnées ».
En y réfléchissant, « insoupçonnés » est, d'ailleurs, disons-le, un terme impropre.
Françoise Giroud
P. S. — Mercredi matin, M. Robert Bony s'inquiétait à nouveau et découvrait que les bouilleurs de cognac et d'armagnac ont bénéficié de l'intervention économique de l'Etat, information publiée cependant il y a plusieurs semaines par quelques quotidiens. Il somme M. Félix Gaillard de s'en expliquer. Excellent. Mais quel méchant tour M. Gaillard a-t-il donc joué aux amis de « L'Aurore » ? Si on faisait une « table ronde » ?