À propos de l'enquête lancée par L'Express sur la Nouvelle Vague.
Absente de Paris... Par ces trois mots, « L'Express » m'excusait la semaine dernière, auprès de nos lecteurs, de n'avoir pas écrit la « lettre » hebdomadaire qui trouve sa place ici.
De nombreux correspondants m'ont aussitôt rappelée à l'ordre, me donnant la conscience coupable de l'écolier qui a séché la composition de français. Aussi userai-je exceptionnellement de cette tribune à des fins personnelles, pour présenter ma justification aux censeurs.
Quinze mille personnes me cernent auxquelles je ne puis échapper. Elles sont entrées dans ma vie en répondant à l'enquête que « L'Express » avait ouverte sur la Nouvelle Vague. Elles sont entrées dans ma chambre depuis qu'un geste imprudent m'a conduite à regarder d'un peu près le contenu des dossiers où se sont accumulés les témoignages des jeunes gens interrogés.
Les statistiques ont leur beauté, les chiffres leur poésie et les sondages d'opinion leur signification. Mais la lettre d'un homme, la lettre d'une femme... Cette charge humaine d'émotion, d'espoir ou de détresse... Il n'y faut point toucher sous peine d'en assumer une part.
Quand il s'agit par surcroît de jeunes hommes et de jeunes femmes, l'exploration de leurs sentiments devient aussi exaltante que la découverte d'une terre vierge.
Hillary ? Fuchs ? (A propos, la ténacité tranquille et récompensée du second a belle allure à côté de la fougue bavarde du premier). Le pôle iSud porte en ses flancs moins de promesses que la jeunesse d'une nation qui s'interroge avec tant d'âpreté sur son avenir.
Je ne suis donc pas en train de glisser, comme le suggère un lecteur amical, « sur les pistes glacées des Alpes ». Seulement sur les touches — glacées — d'une machine à écrire, sport dont il n'est pas encore évident qu'il soit moins dangereux, et sur cinquante mille feuillets d'où surgira, je l'espère, un livre.
Les quinze kilomètres qui séparent de Paris la caverne où sont enfermées ces richesses suffisent pour que le bateau d'armes yougoslave, la petite Hollandaise radioactive, la naissance de Mlle Isabelle Gaillard, le débat de politique étrangère au Parlement, le vernissage de Bernard Buffet et le ballet de Françoise Sagan appartiennent à un autre monde, le monde des villes. Avec leur rumeur, les journaux quotidiens font des bulles, matin et soir, à la surface de jours lisses où s'engloutissent les heures.
Les lire en lecteur, et non en professionnel, est bien divertissant. Ils en savent des choses, les journalistes. On se surprend à commencer quatre articles en première page et à n'en jamais connaître la fin parce qu'il faudrait la chercher au prix d'un terrible effort, ou à enchaîner d'une déclaration de M. Maurice Schumann sur une interview de Sophia Loren...
Un autre lecteur m'écrit : « Ainsi, vous ne serez pas à la « générale » du « Rendez-vous manqué ». Je le regrette car j'aurais aimé savoir comment vous justifierez Mlle Sagan et ses complices d'avoir absorbé deux millions et demi de subvention, c'est-à-dire d'impôts que nous payons, dans ce carnaval mondain. Ils pouvaient au moins payer eux-mêmes le prix de leur fantaisie ».
Bien sûr. Et si jamais subvention fut incongrue... Mais s'il est interdit de juger d'un spectacle sans l'avoir vu, il n'est pas interdit de juger ceux qui en parlent sans y avoir assisté.
Ainsi cette dame, quinquagénaire bien camouflée, dont la voix stridente a retenti jusque dans ma campagne pour déclarer à la cantonade : « Et puis ce qui est dégoûtant c'est que les gens s'y intéressent par snobisme... »
Par snobisme, oui, snob signifiant précisément : qui veut faire croire qu'il appartient à une partie de la société dont il n'est pas.
Cette partie de la société, c'est la jeunesse dans l'une de ses incarnations. Elle en a beaucoup et de bien différentes, mais celle-ci est à la portée de tous les yeux. Ne vous y trompez pas : si elle fascine, c'est parce que la jeunesse, dans toutes ses manifestations, même les moins glorieuses, détruit le confort intellectuel. Non seulement elle a de l'avenir, elle s'étire et pousse comme un arbre dans le ciel, mais elle n'a pas de passé.
Et pour ceux qui appartiennent au passé, qui ne pousseront plus vers le ciel, qui se courbent vers la terre, qui sont lourds de tout ce qu'ils ont vù, appris, entendu, cette légèreté est d'une rare insolence.
Pardonnez-leur. Ils ne détiennent rien que vous n'ayez détenu et ils deviendront lourds à leur tour. Mais d'ici là, ils auront construit, comme vous avez construit. Quoi ? C'est ce que j'essaye de deviner. Et c'est pourquoi, cette semaine encore, je serai, excusez-moi monsieur, « absente de Paris ».
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
société