Sur l'organisation d'un débat à L'Express entre dix enfants à propos de la manière dont on se comporte avec eux à Noël
Nous avions le projet de vous présenter cette semaine un grand débat. Objet : que pensez-vous de la façon dont on se conduit envers vous à Noël ? Participants : dix enfants.
Pendant plus de trois quarts d'heure, ces jeunes citoyens ont répondu fort courtoisement aux questions qui leur étaient posées, et ont affirmé avec force détails qu'ils avaient écrit au père Noël, qu'ils en attendaient mille gentillesses, que celui-ci ne les décevait jamais, qu'il avait une bien belle barbe... Jusqu'au moment où le plus jeune, jusque-là silencieux, « cassa le morceau ».
Alors il y eut un moment de stupeur chagrinée, suivie d'un soulagement général, comme il advient lorsque, par inadvertance, la vérité est proférée.
Cette vérité qu'ils connaissaient tous, par quel instinct s'étaient-ils faits complices, en face des adultes, pour ne point la laisser paraître ?
Sans doute ces enfants avaient-ils trouvé spontanément l'attitude la plus propice à assurer leur tranquillité : le conformisme. Et comme dans toute société humaine, il s'était trouvé un révolutionnaire pour s'y refuser.
Les raisons de ces jeunes gens étaient loin d'être sottes : les plus grands craignaient, dirent-ils, d'enlever aux plus petits leurs illusions. On craint toujours d'enlever à d'autres leurs illusions, alors que seule l'idée de les faire naître et de les entretenir devrait vous glacer le cœur.
Les plus jeunes avaient peur de se distinguer... Si les grands n'avaient pas été du même avis, de quels sarcasmes n'auraient-ils pas été accablés ? Car enfin, cette histoire de père Noël n'est pas tellement claire que l'on se permette d'avoir là-dessus une opinion personnelle quand on se sent petit et faible...
L'un d'eux avait hâte de goûter. Allait-il jeter la perturbation par des révélations incongrues et retarder ainsi l'heure du chocolat ? Il s'en est sagement gardé.
Le dernier, enfin, « y croyait ». De même qu'il y a toujours un révolutionnaire pour s'élever contre les idées reçues, il y a toujours un sincère pour adhérer aux thèses exprimées par la majorité. C'est généralement la victime. Celui qui se fait tuer pendant que les autres virent — sincèrement — de bord, au vent d'un nouveau conformisme.
Mais le plus poignant dans ce débat fut l'instant où, démasqués et se sentant soudain vulnérables à toutes les vérités, ces enfants se protégèrent en hâte derrière d'autres boucliers.
Ils se déclarèrent tous généreux, soucieux « de donner un beau cadeau, à ma petite sœur », et tracèrent d'eux-mêmes le portrait idyllique de l'enfant modèle dans le foyer modèle. Alors que deux d'entre eux battent sauvagement leur sœur, et que trois d'entre eux sont les enfants de parents désunis. Mais cela, pour les contraindre à l'avouer, il eût fallu sans doute leur faire mal. Et il est déjà bien assez pénible de faire si souvent mal aux adultes en répétant : « Essayez donc d'assumer la vérité de votre situation puisque, aussi bien, elle finira toujours par être la plus forte... »
Alors, ce débat, nous avons renoncé à le poursuivre. Une admirable nouvelle de Ray Bradbury le remplace, qui vous emportera dans ce monde futur où les hommes continueront à chercher ce que, il y a 2.000 ans, certains ont trouvé.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
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