L'enquête de L'Express, menée par l'IFOP permet pour la première fois une radiographie de la jeunesse française en 1957
Dans les vitrines de la jeunesse, tous les modèles sont exposés. Françoise Sagan et Maurice Audin, Jaïc Domergue et l'aspirant Maillot, Brigitte Bardot et les, J3 d'Angers, Leone Mezurat et ses bourreaux.
Il ne faut pas sous-estimer le poids de ceux qui se trouvent en vitrine ; ils traduisent toujours la vérité collective d'un groupe. Mais d'un groupe seulement qui, pour actif qu'il soit, ne saurait incarner plus que le groupe voisin le visage d'une génération.
Derrière, il y a les réserves de la nation, les stocks. Huit millions de Français nés après 1927 et avant 1939. Chacun d'eux ne représente rien, ou pas grand-chose. Un électeur en puissance. Une voix. Un homme, « ce miracle sans importance ». Bien. Pourtant, ensemble, ils vont construire ou détruire l'avenir, susciter ou refuser des chefs dignes ou indignes, transformer ou perpétuer la société. Bien ne se fera sans eux, rien ne se fera contre eux.
« La société a cela de bon que les âges s'y mêlent et que l'expérience y peut avertir les passions », écrit Alain. Mais de quelles passions la jeunesse française est-elle animée ? Et d'abord, a-t-elle des passions, ou souffre-t-elle au contraire d'en être démunie ? Est-elle engagée ? Dans quoi ? Disponible ? Pour quoi ? Quel est le point de sonorité où vibrera ce tambour ?
A ces questions fondamentales pour qui s'intéresse à l'avenir du pays et, plus modestement, à celui de ses propres enfants, chacun a une réponse prête, selon qu'il entend flatter la jeunesse ou se consoler de n'en plus faire partie, l'annexer ou se donner la commodité de la mépriser.
Aucun terme générique ne fait l'objet de plus d'abus, dans les discours, officiels comme dans les imprécations familiales. La « belle jeunesse » des hommes publics en représentation, chacun sait qu'elle devient « bonne pour l'échafaud » sitôt que les mêmes ont à examiner en privé ses carnets de notes, ses dépenses hebdomadaires... ou ses idées.
Qui est-elle ? Hier personne n'avait le droit ni les moyens de le dire. Aujourd'hui, grâce au travail considérable accompli, à la demande de « L'Express », par l'Institut Français d'Opinion Publique, il existe, pour la première fois, une radiographie exacte de la jeunesse française, telle qu'elle apparaît en 1957.
C'est ce document capital, ce « moment » de la physionomie nationale que nous livrons cette semaine au public dans la forme que lui ont donnée les spécialistes — enquêteurs et sociologues — en nous abstenant volontairement de tout commentaire qui pourrait en brouiller l'image clinique.
Il n'existe malheureusement aucun moyen de comparaison avec l'état d'esprit des générations précédentes, ni même de la jeunesse de 1945, un tel travail n'ayant encore jamais été réalisé en France. Il aurait seul autorisé le « De mon temps... » qui ne manquera pas de sauter à l'esprit des plus de 30 ans.
D'ailleurs, qu'importe le passé ! Voici le présent, fugitif, mouvant, et perfectible comme la jeunesse elle-même.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
société