Sur les mensonges du gouvernement à propos de la situation algérienne
Douze hommes tiennent entre leurs mains quelque chose de désuet et de fragile qui se nomme l'honneur de la nation.
Il paraît que c'est là un grand mot... Pis : une notion démodée. L'armée seule aurait le droit aujourd'hui de revendiquer que l'on préserve son honneur de toute souillure. Mais la nation, elle... Une fille dont il serait beau qu'elle fasse la difficile. Un conglomérat de misérables civils, tout juste bons à travailler, à élever des enfants, à payer des impôts et à applaudir le 14 juillet, cela peut-il prétendre à l'honneur ?
Le respect de soi-même, d'une parole, d'un engagement, de quelques valeurs simples, tout ce que chacun essaye, tant bien que mal, de préserver en lui, ce ne serait plus qu'une éthique individuelle dont il faudrait se garder de réclamer l'expression collective.
On dit pourtant de la nation qu'elle a « des enfants »... Comment une mère enseignerait-elle à penser si elle ne montrait plus le chemin ?
Si absorbé que chacun soit par ses soucis et ses tâches particulières, si faillible que chacun se sente, il arrive que du fond du pays monte une grande exigence, une grande volonté de savoir si le visage collectif qu'il offre demeure digne d'être celui auquel s'identifier.
C'est une telle exigence qui s'est manifestée, il y a quatre mois, lorsque à la suite de quelques cris isolés — celui du général de Bollardière, de René Capitant, du doyen Peyrega, de Pierre-Henri Simon, celui des premiers rappelés qui rentraient — les Français se sont sentis soudain insultés, si ces hommes mentaient, ou complices, s'ils disaient vrai.
Un président du Conseil prit alors l'engagement solennel de les délivrer de cette brusque angoisse et de les assurer que rien ne se faisait, au nom de la France, qu'ils refusent d'assumer.
Conscient du peu de prix que vaut, hélas ! une parole de président du Conseil, M. Mollet remit alors à douze hommes, choisis parce qu'ils avaient encore le droit, eux, d'incarner l'intégrité, l'indépendance et la rigueur, le soin de préserver la nation du délit de complicité consentie avec des actes qu'elle condamnait.
Les plus sceptiques en éprouvèrent du soulagement. Ainsi, des individus pouvaient errer, le pays ne porterait pas le poids de ces erreurs, des coupables seraient punis, des crimes impossibles et on ne verrait plus, dans la presse, ces cris affreux puisqu'il suffirait désormais de remettre à d'insoupçonnables enquêteurs toutes informations suspectes. La commission de sauvegarde devenait gardienne du visage collectif de la France.
Il était déjà terrible qu'un gouvernement en soit réduit à entériner purement et simplement la méfiance du pays à l'égard de toute déclaration émanant d'hommes au pouvoir, qu'il dise on ne peut plus clairement : « Je sais bien que vous ne me croyez pas, mais eux, vous les croirez puisqu'ils n'appartiennent pas au gouvernement... »
Mais enfin, la commission était là. Elle est encore là. Qu'a-t-elle fait ? Que fait-elle ?
C'est l'objet de l'enquête, menée, en Algérie et à Paris, que nous publions cette semaine.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique