Parallèle entre l'extermination des Juifs pour évoquer l'extension des pouvoirs de métropole demandée par le gouvernement, considérée comme la triste nécessité de la guerre
Il y a très exactement quinze ans, la première arrestation massive de juifs avait lieu à Paris.
Après avoir demandé que l'on fusille Léon Blum, P.-A. Cousteau la saluait ainsi, dans un éditorial de « Je suis Partout » : « Cette étoile-ci, pavillon enfin hissé sur la viande d'Israël, c'est l'abomination de la désolation... Et que le bruit se répande d'un départ de juifs vers les grandes plaines de l'Est, alors l'affliction des cornichons anti-fascistes ne connaît plus de bornes... »
D'où l'on voit que « les exhibitionnistes du cœur et de l'intelligence », et autres cornichons anti-fascistes, n'avaient pas attendu M. Robert Lacoste pour trouver un distingué censeur.
Qu'entre ces deux hommes il y ait aujourd'hui similitude d'expression — on ne veut pas encore croire de pensée — cela confondrait si l'on ne savait avec quelle rapidité le goût du pouvoir dégrade. M. Kroutchev, à 15 ans, rêvait bien dans sa grosse tête ronde de paysan illettré, de lutter pour que règne la justice, ainsi que nous l'apprend un biographe auquel nous empruntons cette semaine l'histoire peu connue du nouveau maître de l'U.R.S.S.
On sait ce qu'il advînt d'un si noble projet.
Six mille enfants méthodiquement assassinés en moins d'une semaine, « à distance, cela n'a même pas l'air vrai », écrit Serge Groussard qui raconte ici ce que furent ces journées de juillet dont un enseignement au moins peut être tiré : pour anesthésier la faculté d'indignation et de révolte d'un peuple, il faut lui injecter lentement le poison de la colère, lentement. Il faut serrer lentement la corde qu'on lui passe au cou.
Ne s'est-il pas trouvé, en juillet 1942, une majorité de juifs français pour croire qu'ils seraient épargnés,
parce que les premières exterminations n'avaient été habilement dirigées que contre les sans-patrie ?
Il se trouve certainement aujourd'hui une majorité de Français pour croire que l'extension des pouvoirs spéciaux à la métropole, demandée par le gouvernement, n'est qu'une triste nécessité de la guerre dont les effets ne sauraient atteindre un honnête citoyen. La perquisition de jour et de nuit ? — alors que les Allemands eux-mêmes respectaient la trêve de la nuit lorsqu'ils chassaient leur proie — la détention préventive illimitée, l'assignation à résidence hors de la métropole ? Des armes dont il ne sera fait usage que pour frapper les terroristes algériens en France. Qui oserait en douter ?
Certes pas M. Georges Bidault qui recommande le vote de telles mesures. N'est-ce pas lui qui s'écria : « On est en démocratie, monsieur, dans un pays où, lorsque quelqu'un sonne à 6 heures du matin, on sait qu'il s'agit du laitier ». Dans quelques mois on sonnera peut-être à la porte de M. Bidault, à minuit ou à l'aube. Et ce ne sera pas le laitier.
Sans doute n'est-il pas de bon goût d'assombrir un ciel de vacances, un ciel de 14 juillet, avec de tels souvenirs et de tels pronostics.
A ceux qui préfèrent ne point y penser, « L'Express » propose en particulier cette semaine un entretien littéraire avec l'un des personnages les plus singuliers du roman français : Roger Vailland, homme libre. Et un jeu de « citations croisées » qui joint le charme des mots croisés à celui des tests de connaissance.
Il sera plus facile de les résoudre que de déchiffrer l'avenir sur le visage bronzé des trois mille parachutistes qui défileront, dimanche, à Paris.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique