Hommage à deux écrivains hongrois, figures de l'insurrection de Budapest.
Ces jeunes écrivains hongrois — l'un journaliste, l'autre dramaturge — que l'on vient d'arracher à la mort, qui sont-ils ? Deux parmi des milliers pour lesquels aucune pétition ne circule.
Le monde saturé d'horreur et de sang ne veut même plus savoir qu'il existe une Hongrie. A quoi bon ?
Notre collaborateur Thomas Jugand a bien connu Gali et Obersovski. Il les a vus pendant l'insurrection de Budapest, et il raconte ici cette semaine comment ces jeunes hommes nés pour écrire sont devenus, par la force de la chose imprimée, des soldats de la Révolution avant d'être jetés en prison.
Ils ont commis le crime de la jeunesse : le crime d'espoir. C'est celui que pardonnent le moins aisément ceux qui, ayant renoncé à modifier l'ordre des choses, ont choisi de s'y insérer le plus confortablement possible. Il s'en trouve dans tous les pays, dans tous les partis, dans tous les rangs.
Y a t-il plus grande tentation pour un homme que de déclarer stérile le combat, excellent l'ordre établi, dès lors que la société lui fait bonne place ? Le capiton du succès personnel amortit si bien les cris des mal nantis, des mal aimés, des mal nourris. Et la bonne conscience s'achète au prix de trois mots : à quoi bon ?
Tant d'exemples sont là pour aider à se persuader que la misère, l'injustice, l'oppression, la corruption sont de tous les temps, et qu'il est chimérique de vouloir en réduire l'insolence.
L'acre plaisir de défier les pouvoirs n'est pas de ceux que l'on goûte longtemps, passé l'âge des monômes et venu celui des honneurs.
Pourtant, ils sont quelques-uns qui persistent à préférer les épines aux roses.
André Philip, ancien ministre, militant depuis trente-huit ans, membre du dernier comité directeur, a assumé le risque de ne plus pouvoir prendre la parole aux congrès de son parti. Par fidélité au socialisme, il refuse de capituler devant les délices du pouvoir.
On trouvera ici le discours qu'il lui est interdit de prononcer cette semaine à Toulouse.
Pierre Le Brun, secrétaire confédéral de la C.G.T., est l'un des dirigeants syndicalistes qui mènent une lutte difficile pour essayer de réaliser l'Unité syndicale jugée par eux nécessaire à l'amélioration de la condition ouvrière.
Nous publions cette semaine l'entretien qu'il nous a accordé. Son combat est celui d'un homme soucieux de sa mission plutôt que de sa tranquillité.
François Mauriac dit ici comment il s'est trouvé, en même temps que Jean-Paul Sartre, dans la rue, parmi cinq cents, en une silencieuse manifestation.
A le connaître, on imagine ce qu'a pu lui coûter le seul fait de se donner, physiquement, en spectacle, de se mêler à une foule affrontant la police.
Que François Mauriac et J.-P. Sartre, éloignés par tant de points, se rejoignent dans un geste où ils ont tout à perdre parce qu'ils refusent l'un et l'autre la complicité des gens en place, cela porte un nom : le désintéressement.
On aimerait en voir de plus fréquentes manifestations chez ceux qui font profession de donner des leçons de patriotisme. Celles-ci prendraient singulièrement plus de poids si leurs auteurs n'avaient pas que des avantages à les administrer.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique étrangère