La mort de McCarty donne l'occasion à une réflexion sur le fascisme
M. McCarthy est mort et l'Amérique s'en moque. Elle l'avait tué depuis longtemps, depuis le jour où elle a cessé de croire ce qu'il disait. Et elle observe maintenant sa dépouille avec l'indifférence d'un individu bien portant auquel on montre, dans un bocal, l'appendice gangréneux dont il fut opéré.
On verra, en lisant l'article que l'excellent journaliste américain Ed.Taylor a écrit pour les lecteurs de « L'Express », comment une démocratie saine laisse le cancer du fascisme infecter ses membres, attaquer ses tissus, mais aussi comment elle parvient à l'expulser pourvu que quelques hommes y soient résolus.
De tels hommes seraient-ils encore assez nombreux en France ? Et sommes-nous assez sains pour réussir à trouver, entre la pagaïe démocratique et l'ordre fasciste, la voie d'un ordre démocratique où l'homme et l'Etat soient également respectés ?
Tous les pays ont leurs fascistes, c'est-à-dire des hommes — et des femmes, les femmes sont particulièrement douées — pour lesquels l'adversaire politique ou idéologique doit être supprimé, physiquement s'il y a lieu, par des méthodes allant de la calomnie à l'assassinat, et qui entendent imposer leur vérité par cet argument massue : qui n'est pas avec moi est un traître. A son pays, à sa foi, peu importe : un traître.
L'Amérique ne les a pas éliminés. Mais elle sait maintenant les reconnaître, et combien ils pèsent : le poids d'une matraque. Légère, quand on la tient en main. Lourde quand on la reçoit sur la tête.
Droite et gauche les sécrètent également. Ce n'est pas une attitude politique, c'est une conception des rapports des hommes dans la société, et une impuissance à obéir sans craindre ou sans aimer.
En Allemagne, les éléments hostiles au national-socialisme étaient traités de réactionnaires.
En France, l'hostilité au national-socialisme n'est pas
encore sanctionnée par l'assassinat légal, mais elle rejette déjà dans une sorte de ghetto moral où sont parqués les suspects.
Un vieux militant socialiste s'est entendu dire, il y a quelques jours, par un membre du gouvernement auquel il exprimait son angoisse :
— Toi, tu n'as jamais eu le sens national.
Au ghetto. Avec le doyen Peyrega, le général de Bollardière, Pierre-Henri Simon, René Capitant et quelques autres, également coupables d'angoisse.
Mais le fascisme ne commence pas lorsqu'il y a ghetto : seulement lorsque naissent la peur d'y entrer et l'illusion qu'entre le ghetto et le pouvoir on peut vivre tranquille. Combien d'Américains l'ont cru, jusqu'au jour où ils ont été chassés de leurs postes, déshonorés, ruinés ? Lorsqu'un directeur de journal vous dit :
— Je ne suis pas fier de moi, mais, que voulez-vous, il faut compter avec les lecteurs...
Lorsqu'un parlementaire tient en privé des propos en contradiction formelle avec ses déclarations publiques, et confesse :
— Je suis obligé, à cause de mes électeurs... Lorsqu'un éditorialiste éminent affirme :
— Si j'écrivais ce que je pense, comprenez-moi, je perdrais mon audience en province...
On se demande si ces hommes sont conscients de ce qu'ils font et de ce qu'ils disent.
Les lecteurs et les électeurs, qui les renseigne ? L'opinion, qui la forge ? Les contre-vérités gouvernementales qui les répand en leur apportant ou non le correctif d'une information exacte ?
Ce sont quelques journalistes qui, parce qu'ils n'ont pas hésité à mettre en jeu leur carrière et leur sécurité, ont donné à l'opinion la force de tuer McCarthy.
L'Amérique disposait, il est vrai, de chaînes de radio et de télévision indépendantes du pouvoir.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
politique étrangère