La lettre de ''L'Express''

Présence de Joseph Alsop, commentateur politique américain dans les colonnes de L'Express
L 'U. R. S. S., cela vous dit quelque chose ?...
L'Amérique, vous avez entendu parler ?
Comme un malade qui se meut dans un univers irréel, rétréci, limité aux frontières de sa douleur et de sa fièvre, nous ne savons plus, nous n'entendons plus, nous ne voyons plus ce qui se passe lorsque nos centres nerveux ne sont pas directement alertés.
Nous avons mal à l'Algérie ; les autres nations en ressentent à peine une vague démangeaison.
Il faut sans doute affronter un observateur étranger dont le métier est précisément de voir et de prévoir le jeu des forces en présence dans le monde pour éprouver la résignation polie qu'inspirent nos convulsions.
De passage à Paris, retour d'U.R.S.S., Joseph Alsop, l'un des trois ou quatre commentateurs politiques américains de réputation internationale, est venu nous voir.
Il semblait un voyageur atterrissant sur une autre planète, un éléphant sortant d'un dialogue entre éléphants et tombant sur les évolutions d'une fourmilière.
Ses yeux étaient pleins encore du spectacle que les usines, les dirigeants, les étudiants, les trains, la rue soviétiques lui avaient offert, de la fête au Kremlin où Chou En Laï, en manteau de vison, était reçu par les petits chefs soviétiques — petits par la taille s'entend, pour la raison que Staline n'admit jamais auprès de lui la présence d'un homme grand.
Son attitude révélait combien ce mot-clé, «, communisme », avait dépouillé sa légende révolutionnaire pour emprunter le visage d'une réalité industrielle implacable.
« Visiter l'U.R.S.S., dit-il en riant, c'est comme, découvrir l'amour. A celui qui l'ignore, vous pouvez faire des descriptions, des dessins, des graphiques. Mais la sensation, vous ne pourrez pas la communiquer. »
Cette phrase, nous songions, en l'entendant, qu'elle pouvait aussi précisément s'appliquer aux Etats-Unis.
Au cours de l'entretien qu'il nous a accordé pour les lecteurs de « L'Express », Joseph Alsop apporte, on le verra, des informations originales, concrètes et sérieuses sur l'évolution de la société soviétique.
Il se trouve que nous avons reçu, en même temps, un document assez exceptionnel : la sténographie clandestine d'un discours prononcé à Moscou à la Maison des Prosateurs, qui provoqua un scandale. La connaissance du texte de Joseph Alsop permettra à nos lecteurs de situer son exacte importance.
Les fenêtres que nous avons essayé d'ouvrir cette semaine sur l'extérieur feront peut-être sentir plus cruellement encore les maux qui nous clouent dans notre chambre de malade, cernés par des médecins affolés et impuissants.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express