Une victoire sur le désespoir

Rappelle l'importance du système de la sécurité sociale, sous-estimée par beaucoup.
Sécurité sociale... Je me demande ce que ces deux mots signifient pour les travailleurs « bourgeois » qui ont aujourd'hui moins de trente ans, lorsque je les vois jeter à la corbeille la grosse enveloppe bourrée de bulletins qui leur a été adressée pour qu'ils votent le 17 novembre.
Pour les uns, Sécurité sociale est synonyme de paperasserie,
de tracasseries. Pour les autres, de déficit, de mauvaise organisation. Pour la plupart, c'est un droit à la maladie dont ils ne se demandent jamais comment et par qui il leur fut donné. Peut-être faut-il avoir travaillé avant le gouvernement Léon Blum de 1936 — et ne pas avoir perdu la mémoire — pour comprendre ce que l'on dit lorsqu'on dit SECURITE.
SECURITE : confiance, tranquillité d'esprit résultant de la pensée qu'il n'y a pas de péril à craindre, dit le Larousse.
Lorsqu'on voit aujourd'hui avec quelle aisance une mère inquiète consulte le médecin, et envisage de faire opérer un enfant de l'appendicite ou des végétations, lorsque je vois telle secrétaire de presse disparaître pendant quatorze semaines, pendant lesquelles elle sera payée, pour accoucher dans une clinique, qui lui sera payée, on a parfois envie de leur dire :
« Savez-vous de quelle peur la Sécurité sociale vous a délivrés ? Pouvez-vous imaginer de quelle angoisse était tissée, avant 1936, la vie quotidienne d'un homme, d'une femme pour qui un achat de médicaments était un luxe, pour qui maladie signifiait perte d'emploi, pour qui opération signifiait emprunt, dette... à condition de trouver auprès de qui s'endetter ?
« Pouvez-vous concevoir l'état d'esprit d'une femme dont l'enfant est en danger et qui ne peut pas — non, qui ne PEUT pas — payer les soins nécessaires ? »
Oui, peut-être faut-il avoir connu cette forme supérieure de l'humiliation, de la terreur et de la colère pour que ces deux mots, SECURITE SOCIALE, résonnent comme une victoire de l'homme sur la nuit, et de la volonté de réforme sur le désespoir.
Que le système soit imparfait, qu'il puisse être amélioré à la fois dans la gestion des fonds et dans les formalités tracassières, c'est bien évident. C'est pourquoi il faut connaître ses imperfections et travailler à les réduire.
Mais il n'y a pas aujourd'hui un seul salarié, une seule femme de salarié « bourgeois » qui ait le droit d'oublier que dans « Sécurité sociale », il y a Sécurité, et que d'autres se sont battus pour la leur donner.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express