Une francisque et une cigarette provoquent deux nouveaux scandales

Deux faits divers : un avocat parisien qui écrit sans le savoir ses courriers sur du papier filigrané avec une francisque et la possibilité évoquée dans la presse anglaise que la princesse elisabeth puisse fumer
UNE FRANCISQUE ET UNE CIGARETTE
provoquent deux nouveaux scandales

par Françoise GIROUD

Un grand avocat parisien, Me René Moatti, vice-président du conseil municipal de Paris, écrit depuis deux mois à ses clients sur du papier à lettre marqué d'une francisque.
Quand il s'en est aperçu, il a failli s'évanouir.
Le papier est apparemment vierge lorsqu'on y jette un œil distrait. Mais dans la feuille vue en transparence, une francisque filigranée se dessine nettement. Et ce n'est encore rien. En haut de la feuille, à droite, on aperçoit en fines lettres blanches gravées, ces deux lignes : « Le maréchal de France, chef de l'Etat ».
Ce papier provient évidemment du stock d'un imprimeur qui ne se résigne pas à le perdre sous prétexte que de menus événements surgissent, de-ci de-là. La vie d'un fabricant de papiers officiels français est un long calvaire !
Ces choses-là n'arrivent pas en Angleterre où la même imprimerie peut graver, de père en fils, du papier à l'entête de Buckingham Palace.
Et pourtant, l'Angleterre vient d'être bouleversée par une terrible nouvelle. La princesse Elizabeth... Mais je ne sais pas si je peux vous l'annoncer sans ménagement. Vous y êtes ? La princesse Elizabeth fume !
Remarquez que ce n'est pas certain. Mais le doute est là, cruel. Une photographie publiée dans la presse a révélé sur son petit bureau personnel la présence d'un objet rond et creux qu'il faut bien appeler respectueusement mais fermement par son nom : c'est un cendrier.
« Ainsi, la princes fumerait ? »
« Ainsi, la princesse fumerait ? » Sous ce titre angoissé, le grand quotidien anglais « Daily Express » reproduit la photographie fatale.
Pour savoir la vérité, les journalistes les plus sérieux ont entrepris une vaste enquête qui les a conduits jusqu'à l'officier chargé de presse à Buckingham Palace.
Pressé de questions, il n'a pas dit non. Mais il n'a pas dit oui. Il a déclaré :
« Je ne sais pas. »
Pauvre princesse Elizabeth ! Une tragique incertitude plane maintenant sur ses sujets à son sujet.
Le secrétaire général de l'Association nationale des non-fumeurs, M. Francis J. Philips, a dû admettre tristement que les apparences étaient contre elle.

(Suite page 6.)

(Suite de la première page.)

Très frappé, il n'a pas hésité à déclarer : « C'est aux femmes en vue qu'il appartient de prouver que fumer est une habitude vulgaire. Nous pensions que la princesse et son mari étaient tous les deux dignes de figurer dans nos registres comme non-fumeurs... C'est un coup très dur pour notre association. Mais nous lutterons avec courage... Hélas! Ce cendrier est une preuve. Il faut se rendre à l'évidence. »
A vrai dire, nous, nous nous y rendons sans trop de difficultés. Mais ne vous paraît-il pas remarquable qu'une tempête puisse ainsi éclater dans un cendrier, parce qu'il est royal, alors que l'Angleterre est précisément le seul pays où les femmes de la meilleur société fument dans la rue?
Il semble qu'en ce qui concerne les agissements de sa famille royale, l'Angleterre tout entière se transforme en une nurse géante :
« Elizabeth, vous ne fumerez pas... Margaret, vous dansez trop.. Philip, vous conduisez trop vite...
Plum-Pudding, vous allez avoir un an le 14 novembre et à cet âge on ne met pas les doigts dans son nez... Et si vous n'êtes pas sages, je le dirai à l'oncle John Bull... »
Et du haut de la tribune de la Chambre des Communes, ou de la chaire de l'archevêque de Canterbery, l'oncle John Bull distribue régulièrement ses réprimandes.
Le comte de Harewood, petit-fils de la reine Mary, épouse une réfugiée israélite viennoise qui devient onzième prétendante au trône d'Angleterre, le marquis de Milford-Haven se fiance avec une Mrs Simpson, Américaine divorcée, dont le nom seul doit faire trembler les murs du Parlement, la princesse Elizabeth fume en secret...
Y a-t-il quelque chose de changé au royaume d'Angleterre ? Peut être, mais là-bas, les imprimeurs n'ont pas encore lieu de s'inquiéter.

Mardi, octobre 29, 2013
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