Critique les pièces théâtrales et quelques films du moment
Rire ? Pleurer ? Trépigner ? Hurler ? Frémir ? Dormir ? Nous pouvons cette semaine vous proposer tout cela à Paris, dans un fauteuil. Un fauteuil de théâtre, ou de cinéma.
Un Français, une Suédoise, une métisse, un Américain et un Anglais s'en chargeront.
Pour RIRE, il faut aller voir « Nina ». M. André Roussin, qui a la tête de monsieur Tout-le-monde, du talent comme personne, trois pièces sur scène et une en répétition, est un bienfaiteur de l'humanité.
Il fait rire. Il fait rire depuis trois ans avec « La Petite Hutte », avec « Les Œufs de l'Autruche », avec « Nina ». Avec persévérance et sans vulgarité.
C'est délicieux de rire, surtout lorsqu'on ne le regrette pas après.
Pour PLEURER, il faut aller voir Ingrid Bergman dans « Jeanne d'Arc ».
Je sais que certains critiques affirment que c'est un mauvais film. Peut-être n'ai-je pas été capable de m'en apercevoir, parce que je l'ai vu à travers un tulle de larmes ; parce que la véritable histoire de Jeanne d'Arc racontée sans génie, mais sans trahison, telle qu'en un manuel scolaire, demeure la plus belle histoire du monde, dans un film de deux milliards comme dans quelques lignes de Péguy.
Pour TREPIGNER, il faut aller voir Katherine Dunham. Cette femme endiablée de quarante-deux ans dirige à New-York une école de 420 élèves et à Paris une troupe parfaite de trente danseurs qui vont du noir de Chine au café au lait clair et de la Bamba à l'hystérie collective.
Fille d'une blanche et d'un noir, c'est une intellectuelle qui lutte avec intelligence et ferveur pour l'émancipation de ses frères noirs.
Je ne pensais pas que le siège de l'intellectualité se trouvait là où son spectacle atteint le public, mais c'est peut-être ce qui en fait précisément le charme.
Inutile de penser : il suffit de subir en bloc les couleurs et les sons qui se répondent, de se laisser bercer au rythme de ces torses luisants, de sombrer. Quand le rideau tombe, il faut une seconde pour se rappeler que les blancs ont, depuis longtemps, donné aux sensations des noms de sentiments.
Pour HURLER, il faut prendre « Le Tramway nommé Désir ». On est pour ou on est contre, on est très chaud ou on est très froid, mais il n'y a rien de tiède dans cette affaire.
L auteur, Tenessee Williams, est un petit homme blond aux traits mous, qui fait courir Broadway depuis deux ans, qui bouleverse Londres depuis un mois, qui irrite Paris depuis huit jours. Ceux qui aiment son œuvre devraient trouver, pour en parler, un mot qui soit à « pleurer » ce que sourire est à rire.
Pour FREMIR, un peu, pas trop, juste assez afin d'oublier pendant deux heures tout ce qui s'oublie difficilement, depuis l'ennui d'argent jusqu'au gros rhume, il faut aller voir « Le Troisième Homme », grand prix du Festival de Cannes. Ce n'est pas une histoire d'amour, mais plutôt une histoire d'amitié, et le troisième film du metteur en scène anglais Carol Reed.
Ce bon géant blond et brique est venu à Paris pour recevoir des mains de M. Robert Schuman son Grand Prix et dans les salons de l'hôtel Ritz deux cents personnes qui aimaient son film, le Champagne et les petits fours.
On a souvent le sentiment qu'au cinéma tout a été dit. Et qu'on le redit trop. Et puis Carol Reed le répète : et on s'aperçoit qu'avant lui on l'avait mal dit.
Enfin pour DORMIR... Pour dormir dans un fauteuil il y a quantité d'occasions. Permettez moi de ne pas les énumérer Je n'ai aucun goût pour le métier des armes, et il semble depuis quelque temps que chaque critique doive répéter en trempant son épée dans le sang ce qu'il a écrit en trempant sa plume dans son encrier.
C'est peut-être ce qu'on appelle se faire un sang d'encre !
Mardi, octobre 29, 2013
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