Réflexions sur le succès que rencontre le récit des liaisons entre vedettes, et montre que les révélations fournies par un hebdomadaire (non cité) à ce propos sont pour certaines erronnées.
UNE PAGE D'HISTOIRES
Lorsque les gens de cinéma lurent la fameuse page qu'un journal hebdomadaire consacra aux aventures amoureuses de dix-neuf vedettes et d'un metteur en scène, page qui lui vaut aujourd'hui un procès en cent millions de dommages et intérêts, ils eurent une réaction unanime :
— Voilà, se dirent-ils en riant, des gens mal renseignés... Que ne nous ont-ils consultés?
D'autres réactions vinrent ensuite, dont l'indignation.
Puisque l'affaire est portée devant la justice, c'est à la justice seule de décider s'il y eut, oui ou non, diffamation, et à punir éventuellement les coupables.
Diffamation n'est pas calomnie, comme on le croit trop souvent. Est diffamatoire « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur, à la considération d'une personne à laquelle le fait est imputé ».
Mais, aux termes de la loi, il est tout à fait indifférent que le fait allégué soit faux ou vrai.
Le détail est d'importance puisque, dans le cas par exemple, les vedettes ne se donnent pas le ridicule de prétendre aux prix de vertu.
Pour moi, ce « dictionnaire des liaisons cinématographiques » m'a laissée rêveuse.
Qu'un journal qui se vend à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires y consacre volontairement une page entière, sur les douze dont il dispose chaque semaine, prouve que ses lecteurs s'y intéressent passionnément.
Mais, ces lecteurs-là, quel tribunal les punira du goût de plus en plus prononcé qu'ils ont pour les histoires d'alcôves élevées à la hauteur de la chanson de geste ?
Faut-il que les leurs soient tristes et dépourvues d'attraits pour que celles des autres nourrissent ainsi leurs rêves !
Peut-être y a-t-il lieu de les plaindre, et non de les punir. Comme on plaint les intoxiques.
Mais la commisération que l'on ne peut s'empêcher de ressentir pour les cocaïnomanes s'arrête à celui qui fournit la cocaïne et qui se garde bien, généralement, d'en user pour son compte.
Françoise GIROUD.
(Suite page 3.)
UNE PAGE D'HISTOIRES
(Suite de la première page.)
La plupart de ceux qui participent à l'élaboration de la littérature-stupéfiant sont fins, cultivés, doués, riches en idées. C'est peut-être ce qui autoriserait à les juger et à regretter qu'ils mettent tant de talent au service des illettrés et apparentés,.
On aimerait croire que leur audace, pour diffamatoire qu'elle puisse être parfois aux yeux de la loi, est soutenue par le souci et le goût de la vérité.
Mais quand on lit, par exemple, dans le dictionnaire des liaisons cinématographiques : « Marc Allégret rencontra Nadine Vogel, nièce de l'écrivain communiste Paul Vaillant », on reste pantois, puisqu'on sait que Nadine Vogel n'a jamais été la nièce de Paul Vaillant, mais la belle-sœur de Vaillant-Couturier.
Quand on écrit à propos de Simone Simon : « Fiancée à A. Rothschild, rien de commun avec les banquiers », on se demande pourquoi M. Gilbert de Goldschmidt-Rothschild a soudain été privé de la moitié de son nom et de sa famille...
Et la charmante Simone Simon ne m'accusera pas de diffamation si je dis qu'en lisant : « Marc Allégret vit Simone Simon pour la première fois chez le producteur de « Lac aux dames ». Ne la quitta plus pendant quelques jours... », ses amis ont été secoués d'un bon rire.
Le moindre échotier de cinéma sait que, trois ans avant « Lac aux dames », Simone Simon tournait déjà dans « La
Petite Chocolatière » sous la direction de... Marc Allégret. Quelques jours qui se comptent par centaines.
Annabella ne me reprochera pas de livrer les secrets de sa vie privée si je dis qu'elle a été la femme tout à fait légitime de Jean Murât, ce que le dictionnaire semble ignorer.
Je passe volontairement sous silence les erreurs ou omissions qui pourraient avoir caractère d'indiscrétions.
Tout le monde peut se tromper, bien sûr. Mais vingt-six fois, à ma seule connaissance, en trois cents lignes ! On pense avec nostalgie aux quarante-sept « chercheurs » du magazine américain Time qui ont pour travail unique de contrôler l'authenticité de chacun des faits rapportés dans le journal.
Si l'on peut discuter à l'infini sur l'opportunité et parfois le courage qu'il y a à dire toutes les vérités, il est un peu triste de voir le pavillon triomphant de la vérité couvrir parfois des inexactitudes qui ne sont même pas volontaires, et qui s'écrivent, se vendent, se lisent, se répètent, composent la pâture de quelques millions de Français plus difficiles pour leur estomac que pour leur esprit.
Mais je sens qu'il vaut mieux que je m'arrête si je ne veux pas diffamer à mon tour en « alléguant un fait qui porte atteinte à l'honneur... ».
Si c'était l'honneur d'un journal, d'être exactement informé.
F. G.