Accusés, levez-vous !

Procès de généraux qui se sont battus avec l'Allemagne contre la russie soviétique
Kravchenko a choisi la liberté, quatre généraux français en avaient la nostalgie, Gaston Bergery n'y croyait plus... Et tout cela fait d'excellents procès. En vérité, on se demande quel diable malicieux ou cynique les a fait venir en même temps, ces procès à grand spectacle.
Ainsi, d'un côté de la rue il s'agit de prouver que la Russie soviétique est coupable de tous les crimes, tandis que de l'autre on condamne ceux qui sont accusés d'avoir voulu se battre avec l'Allemagne contre la même Russie soviétique.
En vain la justice claudicante essaye-t-elle de se mettre au pas de l'histoire. Elle court tantôt devant, tantôt derrière. Que voulez-vous, elle boite ! Et l'histoire galope.
Les généraux ont été inculpés d'intelligences avec l'ennemi parce que, au nom de trois de ses collègues — qui s'en défendent d'ailleurs — le général Fagalde, héros de Dunkerque, détenu avec 120 généraux prisonniers à la forteresse de Kœnigstein, s'offrit par écrit (ça, c'est l'intelligence) à servir dans les Waffen SS (c'est l'ennemi).
I1 précise aujourd'hui qu'il s'agissait d'une ruse pour recouvrer la liberté.
Procès pénible entre tous où dix siècles de gloire militaire aboutissent à une forteresse dont seul le général Giraud s'évada.
L'ennemi s'est évanoui. La lettre est demeurée. Le général ne s'est pas suicidé. Il fallait bien finir par le juger.
Ses pairs — six généraux étoilés — s'en sont charges.
Cinq ans de réclusion, dégradation, confiscation puniront ces mauvaises intentions.
Le général Dubuisson : quatre ans de prison avec sursis.
Le général Toussaint d'Arras : acquitté.
Le général Vernilhat : malade, procès disjoint.
Le général de Gaulle : condamné à... Oh ! pardon... Ce n'est pas du tout dans ce procès-là. C'est dans celui qu'on lui intenta sous le règne d'un maréchal, parce qu'il avait choisi l'honneur et la liberté.
C'est aussi dans ce temps-là que Gaston Bergery choisit d'être l'ambassadeur de Vichy auprès des Turcs, ambassade dont la Cour de justice lui demande compte aujourd'hui.
Vichy traquait alors les communistes. Et qui est Gaston Bergery ?... L'homme le plus brillant du Front populaire (il a inventé cette formule), qui épousa la fille du grand militant soviétique Krassine, avant d'écrire les discours de Pétain.
Ah ! que tout cela est donc compliqué ! Sur quelle part de son activité va-t-on le juger? L'ex-Mme Bergery — il a divorcé — viendra peut-être témoigner. Pendant que son nouveau mari, le marquis Emmanuel d'Astier de la Vigerie, témoigne au procès Kravchenko. Pour?... Mais non! Contre!
Le marquis est communiste, l'homme du Front populaire était vichyste, le général ami de Churchill, attaché militaire à Londres pendant quinze ans, était collaborationniste... Et l'on discute ferme, à la XVIIe Chambre correctionnelle, pour savoir si Kravchenko est un traître.
Certains l'affirment. Des Russes? Non. Un Américain, un Anglais, des Français.
M. Albert Kahn, écrivain venu tout exprès de New-York, M. Zilliacus, député aux Communes, M. Baby, professeur d'histoire aux Sciences politiques (qui traite Kravchenko d'abjection humaine, excusez du peu), M. Vercors, qui a
rompu avec le silence de la mer.
D'autres le nient. Qui sont précisément des Russes.
Qui dirige les débats? Le président Durckheim dont le neveu, journaliste communiste, travaille dans les journaux de M. André Wurmser, assis au banc des prévenus.
Coïncidence humoristique qui n'enlève d'ailleurs au président pas la moindre parcelle d'objectivité, mais qui s'ajoute au saugrenu de la situation générale.
M. André Wurmser écrivit dans « les Lettres françaises » des propos injurieux pour M. Kravchenko. Dans le même journal, un mystérieux et invisible Américain, Sim Thomas, affirmait que M. Kravchenko n'était pas l'auteur de son livre.
Lorsque M. Kahn, Américain, vint déposer contre Kravchenko, le président demanda par la voix de l'interprète :
— A-t-il lu l'article ? (celui de Sim Thomas).
— Non, je n'ai pas lu l'article.
— Il n'est pas curieux ! s'exclama alors le président qui s'efforce vainement de ramener les débats sur le fond de l'affaire.
Mais qui est curieux en cette histoire ? A l'issue du procès le président peut affirmer en toute conscience : « J'ai trouvé la vérité », il n'ébranlera nullement ceux qui, de part et d'autre sont convaincus :
que la Russie soviétique est un enfer,
que la Russie soviétique est un paradis.
Peut-être est-ce tout simplement un purgatoire.
Mais voilà une de ces réflexions pour lesquelles on est pendu un jour ou l'autre. Par les uns ou par les autres.